Emilie Gafner

La côte d’usure est un autre aspect de la côte d’azur. C’est une ambiance spéciale qui se fait sentir fortement et qui vient de différentes sources. Bien sûr, il y a d’abord l’usure au premier degré, c’est-à-dire des matériaux, certaines façades ou lieux qui sont abîmés. Que ce soit du bois, du fer, de la pierre, de la peinture craquelée, de la saleté ou de la rouille, par tout cela le temps passé se fait sentir. Parfois, la fanaison de certaines plantes manifeste aussi la fatigue d’un monde plus végétal. Le soleil est une figure protagoniste du sud et l’on peut capturer sa présence de plusieurs façons. A sa manière, il use par exemple la couleur ou certaines matières. Cependant, sa présence la plus intéressante est probablement l’ombre. Les ombres sont comme des tatouages éphémères par contre souvent quotidiens. Certaines se reforment chaque jour, d’autres sont plus insolites. Mais, dans tous les cas, par leur caractère mouvant, elles suggèrent la temporalité. Dans ce sens, elles peuvent aussi parler d’usure. D’autres tatouages comme les graffitis sont plus durables, bien que parfois effaçables. Pour l’auteur, ils sont une façon de dire une présence en un lieu à un moment donné, ils laissent une trace. Cette trace peut être une détérioration, ou un ornement, mais reste une trace, une marque, une cicatrice, une ride. Ces graffitis sont également un signe de présence de l’homme. Mais, celui-ci avait déjà bien encré sa présence, ne serait-ce que par l’architecture. Dans l’architecture, il y a quelque chose de passionnant dans le fragment. Certains détails sont comme des indices qui prennent de l’importance et traduisent un style. C’est rare de pouvoir découvrir une architecture par fragments, les images permettent cette intrigue. Le style et le caractère sont indissociables à l’architecture et, dans cette mesure, les modes viennent ponctuer les époques. Plus ou moins charmante, l’architecture bétonne une époque et inspire une ambiance. Les modes sont fatalement souvent dépassées, usées, certaines ont un deuxième souffle ou sont indétrônables. Sur la côte d’azur, le côté éclectique de l’architecture peut être amusant ou désespérant. Toutefois, la mixité, parfois les chocs des architectures accentuent l’usure du lieu. Ces tendances sont plus ou moins mises en lumière, certes par les «projecteurs», mais également par la lumière naturelle, non humaine. La lumière a le pouvoir de provoquer des reflets qui sont des occasions de voir les choses autrement. La forme, le sens, la netteté peuvent changer et troubler celui qui regarde. Dans ce cas, le regard est toujours sollicité. Il faut une implication, même passagère du regardeur. Cet instant est particulier et ces reflets reflètent un regard posé à un moment donné, dans un lieu précis, dans une luminosité et une ambiance accordées à un objet. L’usure matérielle est plus facile à voir. Mais l’homme a engendré un autre type d’usure. Sur la côte d’azur, les portails, barricades, portes et tout autre moyen de se protéger sont des images récurrentes. L’usure de la sécurité, de la tranquillité a contraint les gens à s’enfermer, voire se cacher. Les fenêtres sont comme des tentatives d’apercevoir à travers les barreaux, dans un sens comme dans l’autre. Cela peut sembler absurde, les gens s’emprisonnent à cause d’eux-mêmes et souvent emprisonnent avec eux la végétation. Dans ce sud, la nature est magnifique. Certes, elle est usée et abîmée par l’homme et parfois s’use elle-même. Le soleil ternit certaines couleurs de plantes, de cailloux, la mer ronge la roche et les vagues claquent la végétation. D’autres fois, la nature use les constructions humaines. Mais il est certain que tout ce qui peut être abîmé par le sel marin est totalement dérisoire face à ce qui est déversé honteusement par l’homme dans la belle bleue. Mais enfin, à travers cette usure se dégagent une ambiance et un caractère qui dépeignent la vie et font aussi le charme et l’intérêt de ces lieux. Emilie Gafner