DICTIONNAIRE, PROMENADOLOGUES #3 DE YONA FRIEDMAN
"Quand je dis un mot je ne sais pas ce que l'autre comprend. Quand je montre une image on comprend la même chose. »
Il y a trente ans Yona Friedman commence un dictionnaire par le dessin. Sur l'invitation du Cneai, il réactive ce projet, resté inachevé jusqu'alors. Sur une table géante reprenant le fonctionnement d'une page de dictionnaire, les termes-clé de l'oeuvre de Yona Friedman sont traduits en maquettes, livres et films de l'artiste. Cette exposition à l'horizontale propose un parcours dans l'oeuvre de Yona Friedman, sur le principe de la circulation des savoirs. Sur la table, un mot lié à d'autres, illustrés par Yona Friedman forment un idée. Par exemple «communiquer » est lié à « parler », « oreille », « pouvoir », « facile ». L'interaction entre les mots, les pictogrammes, les maquettes et les éditions créée un système de pensée et d'action.
« Pourquoi ce « dictionnaire » ?
Une anecdote peut l'expliquer. Il y a quelques années j'ai été en visite en Chine. Dans les
grandes villes je n'ai pas eu de difficulté à me faire comprendre car beaucoup de gens ont appris
l'anglais ou le français. Mais dans les petites villes c'était différent. Par exemple, comment
demander de l'aide à un passant pour trouver la gare ? J'ai résolu la difficulté en faisant un petit
dessin, très simplifié, d'un train et je lui ai montré. Il m'a tout de suite compris, et m'a indiqué la
direction à prendre. J'ai eu une expérience similaire en cherchant un restaurant. Mais aussi une
boutique, une marchandise, etc. C'est cette expérience qui m'a donné l'idée de faire un «
dictionnaire » de petits dessins, facilitant la vie d'un visiteur à l'étranger, lui permettant de
s'exprimer en utilisant ces « modèles » et de se faire comprendre. » (Yona Friedman, Introduction au Dictionnaire)
Le Dictionnaire est ici le résultat d'un jeu entre Sylvie Boulanger et Yona Friedman. Les mots
proposés par celle-ci sont traduits en image dans un second temps, sur le mode de la tentative et
de l'improvisation par l'artiste. La technique est simplement définie. Les objets sont représentés
par des lignes simples, les émotions transforment les corps d'après les règles du mime. Enfin,
pour les actions complexes, les schémas de base sont dotés d'objets ou accompagnés de
personnages.
« Déverrouiller le sens des mots vous semble une nécessité préalable à l'urgence de
communiquer. De cette méfiance vis à vis de l'abstraction sont nées les Bandes Dessinées, dont
vous avez adapté la forme en fonction des usages technologiques: fascicules photocopiés de
Manuels, diaporamas et dessins animés. Comme je n'arrivais pas à comprendre comment vous
faisiez pour dessiner un mot abstrait, par exemple le mot LIBERTÉ, vous m'avez appris que
LIBERTÉ tout court, on ne peut pas le dessiner, car le mot liberté ne veut rien dire. « On peut
être libre de se déplacer, on peut être libre de parler, de manger ou de travailler. Mais on ne peut
pas être libre tout court ». Cette réponse a eu pour effet de me libérer de la gravité des mots et je
vous propose donc un jeu. Celui qui consiste à libérer certains mots de leur opacité, de les
traduire dans une langue visuelle et donc compréhensible par tous. Pour commencer, j'imagine
que les mots SOCIETE, AVEC, IMPROVISATION, MOBILITE, FONCTIONNEMENT,
FAIRE, POUVOIR… subissent le même sort que le mot LIBERTE ? » (Correspondance Yona
Friedman/Sylvie Boulanger)
Systématiser cette démarche consiste à créer un dictionnaire par le dessin, qui permet à des
interlocuteurs de se comprendre, quelque soit leur langage ou leurs références culturelles.
L'exposition développe ainsi un choix de concepts dans l'oeuvre de Yona Friedman. Plaise à
quiconque de se prendre au jeu en prolongeant les articles du dictionnaire de ses propres
dessins. A l'occasion de l'exposition le Cneai publie le Dictionnaire et quatre Bandes dessinées:
Politique, Architecture , Guidebook for an Extraterrestre, Sciences humaines et animales, en
collaboration avec Jean-Baptiste Decavèle pour Balkis Production et l'Ecole Nationale
Supérieure d'Architecture de Paris La Villette, qui accueille par ailleurs la suite de l'exposition à
partir du 3 mars 2014.
Yona Friedman
Né en 1923, il grandit en Hongrie où il étudie l'architecture puis rejoint la Résistance. L'expérience de la guerre marque l'élaboration des thèmes de son oeuvre, tels que la citoyenneté et la liberté de choisir. Après la guerre, il décide de s'installer en Roumanie, puis en Israël où il continue ses études d'architecture. Yona Friedman fonde le Groupe d'Etude d'Architecture Mobile (GEAM) en 1957. Le point de départ de cette organisation est le constat d'un échec global de la planification urbaine. Le groupe trouve des solutions en travaillant avec des structures flexibles constituées d'éléments préfabriqués. Yona Friedman déménage à Paris et se marie avec Denise Charvein. Dans un premier temps, il concentre ses efforts sur les moyens de donner forme à ses idées. A travers son activité de professeur et ses publications (près de 500 articles et livres) ses concepts sont largement diffusés. Les idées et les projets de Yona Friedman ont toujours été intimement liés aux problématiques politiques et scientifiques de leur temps. Son travail de publication de plusieurs livres pour les non-spécialistes, à l'Unesco et à l'Université des Nations Unies, fut important pour l'élaboration de ses projets autour de l'architecture « mobile ».
Sylvie Boulanger
Issue des Lettres et Sciences politiques, Sylvie Boulanger est d'abord chargée d'étude pour le Ministère de la Culture. En 1987, elle crée ABCD, première agence d'ingénierie culturelle en France, avec Claude Mollard. Elle réalise une vingtaine d'études pour le Ministère de la Culture, des collectivités territoriales, la Communauté européenne, des fondations privées, et cinquante commandes publiques dont notamment l'étude de faisabilité du Musée de Céret, l'étude de faisabilité du Musée de la Photographie de Bièvre. En 1997, Sylvie Boulanger est nommée Directrice du Cneai, Centre National Edition Art Image, dédié aux pratiques artistiques de la publication et de l'édition. Commissaire de plus d'une centaine d'expositions en France et en Europe, Sylvie Boulanger est chercheure associée de plusieurs programmes d'enseignement supérieur, contribue à la revue Multitudes et donne des conférences dans des écoles d'art et des universités, en France et à l'étranger. En 2004, Sylvie Boulanger crée le Salon Light, rencontre annuelle internationale de l'édition indépendante qui présente les expériences actuelles dans le domaine de la publication d'artistes. En 2008, elle est lauréate de la bourse de recherche aux auteurs, théorie et critique d'art, du Centre National des Arts Plastiques/Soutien à la création, Ministère de la Culture.
Rémi Jauze
Graphiste français né en 1989 est Diplômé d'un DNAP Design Graphique à la
Haute Ecole des Arts de Strasbourg et d'un DNSEP Design Graphique avec les félicitations du
jury à l'École Nationale Supérieure d'Art de Nancy. Il développe en 2013 une pratique plastique
de l'image à l'occasion d'un projet d'identité visuelle qu'il réalise conjointement avec l'Opéra
National de Lorraine tout en menant en parallèle la rédaction de son mémoire sur la question du
geste gratuit dans la pratique graphique contemporaine. Il entreprend ensuite un stage au Cneai
et de l'Imprimé afin d'observer plus en détails les rouages propres aux métiers de l'exposition. A
l'avenir, il souhaite poursuivre des travaux de recherche sur la porosité des milieux du design
graphique et de l'art contemporain.
Laurie Moor
Née en 1989, diplômée d'une maîtrise en Littérature française, mémoire sur Le Mort de Georges
Bataille sous la direction de Frank Lestringant, projet de recherche spécialité Texte et image sur
le rythme dans les lithographies d'Henri Michaux, sous la direction de Bernard Vouilloux. Elle
fait plusieurs stages dans l'art contemporain et l'édition (Larousse, Instants chavirés, festival
Diep, Centrale for contemporary art). Dans le cadre du Master Développement de projets
artistiques et culturels internationaux de l'ICOM-Université Louis Lumière-Lyon 2, elle écrit un
mémoire sur les enjeux de la création poétique en milieu numérique sous la direction de
William Saadé. Elle est en stage au Cneai depuis octobre 2013 et prépare actuellement un projet
de thèse sur la conservation des sites internet d'artistes dans les collections d'art.