De Rupert Bunny à Brett Whiteley : les pionniers de l’art moderne australien

Par Xavier-Philippe Guiochon
Brett Whiteley, Summer Field Painting, 1962

Brett Whiteley, Summer Field Painting, 1962 (Achat à l'artiste en 1966, FNAC 29522)

Détail de la signature et du titre autographes

Brett Whiteley, Summer Field Painting, 1962 (Achat à l'artiste en 1966, Inv. : FNAC 29522). Détail de la signature et du titre autographes au revers de la toile.

Le Matin, peinture de Rupert Charles Bunny

Rupert Charles Bunny, Le Matin, vers 1917 (Achat à l'artiste en 1917, Inv. : FNAC 5764)
Exposée à Paris en 1917 à la Galerie Georges Petit, cette huile sur toile est une évocation de l’intimité d’un intérieur bourgeois : évocation parfaite du Paris de la Belle époque et de sa société raffinée et insouciante.

Vision, peinture de Charles Blackman

Charles Blackman,Vision, s.d. (Don Musée d'Art Moderne de Melbourne en 1958, Inv. : FNAC 26386)

Nausicaa, peinture de Rupert Charles Bunny

Rupert Charles Bunny, Nausicaa, vers 1919 (Achat à l'artiste en 1922, Inv. : FNAC 7902)
Evocation d’un épisode de l’Odyssée d’Homère, appartenant à un ensemble de tableaux mythologiques marqués par les avant-gardes du début du XXe et l’émergence de l’Art Déco.

Le récolement des collections a permis la redécouverte d’une œuvre majeure du peintre Brett Whiteley (1939-1992), Summer field painting (FNAC 29522), offrant ainsi l’occasion d’examiner les œuvres australiennes conservées dans la collection du Cnap et de retracer comment l’État Français, au cours de la 1ère moitié du XXe siècle, a accompagné le développement d’un art national australien.

Le contexte de la création des Summer field painting : le Grand tour de Whiteley en Europe et en France

Né le 7 avril 1939 à Sydney, Brett Whiteley se forme entre 1956 et 1959 à The National Art School de l’East Sydney. Suite à l’obtention d’une bourse du gouvernement italien en 1959, il arrive à Naples le 25 février 1960, puis séjourne à Londres, à Paris et à Sigean (Languedoc-Rousillon) de 1960 à 1962, pour regagner enfin l’Australie en 1969. Il y continue alors sa carrière, et décède le 15 juin 1992 à Thirroul au nord de Wollongong (état du New South Wales).
Exécutée en 1962, cette huile sur toile achetée par l’État est particulièrement représentative des recherches esthétiques et des premières peintures abstraites de l’artiste, tout en évoquant des éléments de son vécu personnel. On y trouve de nombreuses références allant du paysage australien (souvenir de ses peintures Goldfields peintes auparavant en Australie), aux réminiscences de sa découverte des peintres italiens Cimabue, Duccio, Paolo Uccello et Piero Della Francesca par les aplats de couleurs et la géométrisation des compositions, aux œuvres des artistes William Scott, Russel Drysdale mais surtout aux peintres américains Arshile Gorky et Philip Guston découverts à Londres.
Lors de son séjour de 6 mois à Sigean, au bord de la Méditerranée, il exécute un ensemble de peintures dites Summer field painting dont le triptyque Summer at Sigean (1962-1963) en est la pièce majeure. Dans le cycle des Summer field Painting, on discerne autant la fascination de l’artiste pour la lumière et le paysage environnant entre garrigue et étangs, mais aussi sur un plan plus personnel, sa passion amoureuse pour Wendy Julius (qu’il épouse en mars 1962) par l’évocation de formes érotiques féminines qui marquent les peintures de cette période. Entre douceur et lyrisme, l’alliance multiple de l’abstraction, du dynamisme des couleurs, et de l’érotisation des formes si caractéristique de cette série des  Summer field painting se retrouve totalement dans cette œuvre acquise par l’État auprès de ce jeune peintre alors âgé de 23 ans qui expérimente force et tension créatives dans l’évocation d’un éden personnel et esthétique.

Summer field painting : une œuvre fondatrice de l'art abstrait australien et unique dans les collections françaises 

L’acquisition de Summer field painting coïncide avec la participation de jeunes artistes australiens à la Biennale de Paris (nouvellement crée en 1959). Exposant au coté de ses compatriotes Charles Blackman et Lawrence Daws, Brett Whiteley reçoit en 1961 le Prix international de la Biennale, devenant le premier artiste australien à recevoir une telle distinction et contribuant ainsi à la reconnaissance internationale d’un art moderne de l’hémisphère sud. L’achat en 1960 par la Tate Gallery de l’œuvre, Untitled Red Painting renforce la position de l’artiste et légitime l’achat engagé en 1962 par l’État français d’une œuvre de Brett Whiteley. Administrativement finalisée qu’en 1966, cette première acquisition reste à ce jour l’unique œuvre de cet artiste conservée dans une collection nationale française

L'art moderne australien dans les collections du Cnap

Cet achat marque la reconnaissance par l’État français d’un art moderne australien en regard aux avant-gardes européenne et occidentales, tout en s’inscrivant dans une certaine continuité. En effet, dès les premières années du XXe siècle, l’État a accompagné la carrière du peintre australien Rupert Bunny né à Melbourne (1864-1947), tenant une place importance dans l’art national australien, du fait de son étroite relation avec la peinture européenne et plus particulièrement avec la peinture française. Il est le premier artiste australien à séjourner et à se former à Londres et à Paris de 1884 à 1933, où il poursuit ses études à l’École des Beaux-Arts dans l’atelier de Jean-Paul Laurens. Présentées dans les Salons de l’époque, les œuvres de Rupert Bunny se situent à la rencontre de la peinture edwardienne anglaise et de la peinture naturaliste et symboliste française. Plus de 10 œuvres de l’artiste rentrent dans les collections nationales françaises entre 1904 et 1929, acquisitions qui seront pour les autorités et la communauté artistique australiennes la reconnaissance officielle par Paris, alors capitale et arbitre des arts, de la place de cette jeune nation dans la création internationale.
Parallèlement, l’État achète des œuvres qui témoignent du développement de la création artistique en Australie. On citera en particulier, les deux œuvres de Rix Nicholas, Grand Marché à Tanger, FNAC 4291 (achat en 1912) et Cavalier australien, FNAC 8781 (achat en 1925), et celle d’Elisabeth Bessie Gibson, Port de Cherbourg, FNAC 11642 (achat en 1930). On mentionnera également que le Musée d’art Moderne de Melbourne fait don à l’État en 1958 d’une œuvre de Charles Blackman, Vision, FNAC 26386.

Regards constants vers la création contemporaine aux antipodes de la France

L’attention portée par l’État aux artistes australiens contemporains, internationalement reconnus dans les domaines des arts plastiques, de la photographie et du design, s’est prolongée au tournant du XXIe siècle. En témoignent de nombreuses acquisitions, dont les sculptures de Lawrence Carroll (FNAC 96221), celles de Les Dorahy (FNAC 90103), les installations de John Nixon (FNAC 90389) et les photographies de Bill Henson (FNAC 90129 à 90134), de Julianne Rose, Max Pam et d’Henry Lewis dont le Cnap conserve d’importantes séries. L’artiste australienne Tracey Moffat bénéficiant actuellement d’une résonance critique et publique importante, a bénéficié de nombreuses acquisitions depuis 1999, à l’instar du désigner Marc Newson. En outre, si les artistes d’origine aborigène ne sont pas aussi nombreux au sein de la collection de l’État, mentionnons toutefois l’œuvre de Dinny Nolan Tjampitjinpa, Men’s High Initiation Dreaming, FNAC 88407.

 

Xavier-Philippe Guiochon
Conservateur du patrimoine
 

Pour en savoir plus

Pierce Simon. Australian Art and Artists in London, 1950-1965, an Antipodean Summer. Londres : Ashgate Publishing Limited, 2012.

Anderson Jaynie. The Cambridge Companion to Australian Art. Cambridge University Press Australia and New Zealand, 2011.

Sutherland Kathie. Brett Whiteley : A sensual line 1957-67. Victoria : Macmillan Art Publishing, 2010.

Smith Bernard, Smith Terry, Heathcote Christopher. Australian Painting 1788-2000. Melbourne : Oxford University Press, 2010.

Edwards Deborah (exhibition curator). Rupert Bunny, Artist in Paris. Sydney : Art Gallery of New South Wales, 2009.

Lane Terence. Nineteenth-Century Australian Art in the National Gallery of Victoria, Melbourne : National Gallery of Victoria, 2006.

Mc Donald John (exhibition curator). Federation : Australian Art and Society 1901-2001. Canberra : National Gallery of Australia, 2000.

Pearce Barry. Genesis of a Painter: The early abstractions of Brett Whiteley, Sydney : Art Gallery of New South Wales, 1998.

Pearce Barry. Brett Whiteley’s Paris. Sydney : Art Gallery of New South Wales, 1998.

Pearce Barry, Robertson, Bryan. Brett Whiteley Art & Life. New York : Thames and Hudson, 1995.

Dernière mise à jour le 2 mars 2021