De la Bourgogne à la Bretagne : la Résurrection de Lazare de Pierre-Charles Marquis

Par Virginie Inguenaud
Pierre Charles Marquis, La Résurrection de Lazare, 1868

Pierre Charles Marquis, La Résurrection de Lazare, 1868 (Achat en salon à l'artiste en 1868 (Salon des Artistes Vivants, n° 1685. Paris.) Inv. : FNAC 573 , FNAC FH 868-257)

Vue du tableau de Pierre Charles Marquis, La Résurrection de Lazare

Pierre Charles Marquis, La Résurrection de Lazare, 1868 (Achat en salon à l'artiste en 1868 (Salon des Artistes Vivants, n° 1685. Paris.) Inv. : FNAC 573 , FNAC FH 868-257)

Achetée 3000 francs pendant son exposition au Salon de 1868, la Résurrection de Lazare de Pierre-Charles Marquis (Tonnerre, 1798-Paris, 1875), élève de Guillon-Lethière, est aujourd’hui visible dans l’église Saint-Martin de Morlaix. Cette œuvre de grandes dimensions (3m60 x 3m30 avec cadre) porte deux n° d’inventaire : FNAC FH 868-257 et FNAC 573. Ce dernier n° correspond au retour temporaire du tableau dans les réserves en 1895.

Esquisse pour le tableau de Pierre Charles Marquis, La Résurrection de Lazare.

Esquisse pour le tableau de Pierre Charles Marquis, La Résurrection de Lazare.
Sur cette petite esquisse (21 x 16cm) conservée dans une collection particulière, l’essentiel de la composition est déjà en place. Seront ultérieurement modifiées la posture du corps de Lazare et l’attitude de sa sœur Marthe qui baisse ici la tête pour orienter son regard vers le tombeau.

Vue de la demeure de Pierre-Charles Marquis en 1868, au 19 rue Vavin à Paris.

Vue de la demeure de Pierre-Charles Marquis en 1868, au 19 rue Vavin à Paris.

Au moment de l’acquisition par l’Etat de sa Résurrection de Lazare, Pierre-Charles Marquis était domicilié « 19 rue Vavin » à Paris. La configuration extérieure de son habitation montre qu’il y travaillait également, comme l’indiquent les importantes baies vitrées témoignant de l’aménagement d’ateliers d’artistes dans l’immeuble. Le hasard fera, qu’à la fin du XIXe siècle, Lucien Lefebvre-Foinet y installe sa « Fabrique de couleurs extra-fines et de toiles à tableaux » auparavant située 54 rue Notre-Dame-des-Champs dans le même quartier.

L’exemple de l’attribution en Bourgogne puis en Bretagne d’une grande huile sur toile de Pierre-Charles Marquis montre qu’un dépôt d’œuvre n’est jamais figé et qu’un déplacement s’explique moins par des considérations esthétiques que par des préoccupations pragmatiques en lien avec l’évolution de la sensibilité et des mentalités du temps.

De Paris à la Bourgogne

Les registres d’inventaire conservés au sein du Cnap ont gardé la trace écrite de l’attribution princeps à « la chapelle de l’école normale de Cluny » (Saône-et-Loire) du grand tableau La Résurrection de Lazare acheté pour 3000 francs à Pierre-Charles Marquis en juin 1868. Cependant, les dossiers concernant cette œuvre, versés aux archives nationales, si diserts soient-ils sur l’acquisition, restent muets sur les raisons de l’envoi à Cluny et sur les conditions matérielles de l’expédition. C’est en retraçant rapidement l’histoire de cette « école normale » que l’on comprend les motifs ayant préludé à l’attribution de l’œuvre. Créée par Victor Duruy en 1865 pour former les maîtres de l'enseignement secondaire spécial (technique, dirait-on aujourd’hui), elle avait ouvert en 1866 dans les bâtiments de l’ancienne abbaye dont le grand transept fut restauré et utilisé comme chapelle. Retrouvant une affectation cultuelle après plusieurs décennies d’abandon, la chapelle du grand transept (à l’aplomb du célèbre clocher « de l’eau bénite ») était complètement dégarnie, tant en objets liturgiques qu’en œuvres d’art et il est vraisemblable que ce dénuement est à l’origine de la demande d’attribution d’un tableau par l’administration de l’école. Quant au choix particulier de La Résurrection de Lazare de Marquis, il ne faut sans doute y voir, prosaïquement, qu’une simple question de disponibilité dans les réserves quand l’administration des Beaux-Arts a reçu le courrier de l’école.

De la Bourgogne à la Bretagne

L’ « école normale d’enseignement secondaire spécial » de Cluny fut supprimée et ferma en 1891, pour être remplacée, dans les mêmes locaux, par l’ « école nationale pratique d’ouvriers et de contremaîtres » qui venait d’être créée (c’est l’ancêtre de l’ « école nationale supérieure des arts et métiers » qui voit le jour en 1901 et continue de former les ingénieurs). Ne servant alors plus au culte, la chapelle est en voie d’être reconvertie en salle d’exposition pour les travaux des élèves, et le sort du grand tableau, qui réapparait à ce moment-là dans les sources versées aux archives nationales, inquiète car il risque de se dégrader. Pour éviter sa ruine, la « Résurrection de Lazare » est rendue à l’administration des Beaux-Arts à Paris pendant l’été 1895. Quelques années auparavant, en 1891-1892, le maire de Morlaix avait plusieurs fois écrit au directeur des Beaux-Arts pour lui expliquer que les collections du musée de la ville, récemment créé grâce à un legs, seraient utilement complétées par des dépôts d’œuvres de l’Etat. Ce n’est qu’au printemps 1896 que sa demande sera satisfaite par l’envoi, entre autres, du tableau de Pierre-Charles Marquis, qui ne doit, une fois de plus, son attribution qu’à sa disponibilité. Ses importantes dimensions, à moins qu’il ne s’agisse de son sujet, sont vraisemblablement les causes de son transport, à une date restée inconnue, dans l’église paroissiale Saint-Martin de Morlaix. Il s’y trouve toujours, visible dans la chapelle des fonts baptismaux.

Retour à Paris en 1868

S’agissant d’une œuvre réalisée à l’initiative même de l’artiste et présentée ensuite au Salon de 1868 (n° 1685) pour demander son achat par l’État, cette « Résurrection de Lazare » n’a donc jamais été examinée au préalable par l’inspection des Beaux-Arts, à la différence d’un tableau exécuté à la suite d’une commande, régulièrement visité dans l’atelier du peintre au fur et à mesure de l’avancée du travail. On ignore les raisons qui ont poussé l’artiste à choisir pour sujet le thème qui était celui du prix de Rome de peinture en 1857, pas plus que l’on connaît les motifs qui l’ont conduit à modifier légèrement la composition entre les premières ébauches et l’œuvre achevée. A défaut d’avoir conservé des esquisses dessinées, on connaît au moins une esquisse peinte de très petite taille montrant un Lazare encore gêné par son linceul qui tente assez maladroitement de se lever du tombeau, alors que le grand tableau final offre l’image d’un corps qui a déjà retrouvé toute la vigueur nécessaire pour sortir sans effort du sépulcre. Ce dynamisme un peu terrifiant (la carnation de Lazare n’est pas encore celle d’un vivant, mais toujours celle d’un cadavre qui vient de passer 4 jours sous terre), qui donne sa force au tableau en théâtralisant l’effet, a pourtant été jugé trivial par le seul critique du Salon de 1868 ayant commenté l’œuvre : on trouve ainsi sous la plume de Firmin Boissin que « la vulgarité, mais avec un plus grand effet dramatique et une réalité plus captivante, est aussi le défaut qui domine dans la Résurrection de Lazare de M. Marquis ». Pour ce même chroniqueur, « il faut bien l’avouer : les sujets évangéliques - et ils sont nombreux au Salon de cette année – se distinguent généralement par leur médiocrité ». Les autres critiques du Salon de 1868 abondent eux-aussi dans ce sens : ils déplorent la piètre qualité de la peinture religieuse contemporaine devenue « sans conviction », qui « disparait par degrés », et regrettent amèrement l’époque de Flandrin : « l’art chrétien … sèche sur pied comme un arbre sans racines ». C’est bien cet affadissement du sentiment que retiendront les dictionnaires évoquant l’art de Marquis (« Monsieur Marquis a exposé un très grand nombre de tableaux pour la plupart achetés par l’Etat mais qui manquent de qualité saillante et d’originalité ») alors que son biographe, Henry d’Escamps, n’hésitait pas à le comparer en 1875, un an après sa disparition, aux peintres du Grand Siècle tel Jouvenet et Lesueur, dans un texte aux tonalités quasi-hagiographiques et quelque peu convenues.

La distance prise par les critiques avec la peinture religieuse d’alors trouve son exact reflet dans la désaffection manifestée par les services de l’État pour ce genre : pendant le Salon de 1868, 130 œuvres, dont 126 peintures, sont achetées par le service des Beaux-Arts, mais seulement 18 représentent un sujet religieux, qu’il soit tiré de la Bible ou des vies de saints. Ces achats en Salon ne composent qu’1/3 du total des 389 œuvres acquises par l’Etat, service des Beaux-Arts, en 1868. Si les sujets religieux disparaissent progressivement des compositions originales, ils resteront encore bien présents, jusqu’à la fin des années 1880, parmi les copies réalisées d’après les tableaux les plus célèbres du Louvre.

Virginie Inguenaud
Conservateur du patrimoine
Mission de récolement
Centre national des arts plastiques
 

Bibliographie & Sources

Sources d’archives (Archives nationales)

F/21/160, dossier n°53
F/21/2251, dossiern°7
F/21/4909/B, dossier n°10, pièce n°37
F/21/7639 folio n°3

Sources imprimées

Firmin Boissin, Salon de 1868, études artistiques. Paris, C.Douniol, 1868.
Henry d'Escamps. Pierre-Charles Marquis, peintre d'histoire, sa vie et ses ouvrages. Paris, Victor Goupy, 1875.

Bibliographie

Autour de Delacroix, la peinture religieuse en Bretagne au XIXe siècle. Catalogue d’exposition, Vannes, musée de la Cohue, 1993, p.162-163 (notice biographique de Marquis par Philippe Bonnet, notice de la « Résurrection de Lazare » par Brigitte Nicolas).

Dernière mise à jour le 21 avril 2021