... dans les profondeurs d'une forêt. De préférence auprès d'un torrent.
Henry Miller écrivait qu'il ne connaissait pas de meilleur endroit pour lire que « dans les profondeurs d'une forêt. De préférence auprès d'un torrent. ». L’exposition est introduite par cette phrase extraite des Livres de ma vie : l’écrivain y évoque les lectures dont son œuvre est tributaire. Introduite par cette citation, l’exposition propose un regard sur la place du savoir et du livre dans l’art contemporain, dans ce lieu qui accueille une médiathèque et un centre d’art. Si la bibliothèque est parfois l’antichambre de l’atelier ou un matériau de l’œuvre, les approches des artistes vis-à-vis du livre peuvent être poétiques mais aussi critiques, décomplexées voire insolentes. Leurs gestes artistiques jouent avec les représentations du savoir, avec les mots et les meubles pour créer une forêt de bibliothèques paradoxales.
Bibliothèques, savoir et art
La bibliothèque, représentation par excellence du savoir, s’impose dans les salons, garante de la représentation sociale de l’individu. Prenant source dans le tableau de Saint Jérome dans son étude d’Antonello Da Messina (1475), l’Etude, bibliothèque en forme d'installation proposée par Eden Morfaux, interroge le rapport de l’artiste au savoir. Si la sculpture d'Eden Morfaux, tant par la référence directe effectuée à l’histoire de l’art que par l’objet qu’elle représente, place l’artiste dans le champ de la connaissance, un glissement s’opère dès lors qu’Eden Morfaux propose au graphiste Fréderic Teschner d’investir la sculpture. Libérée de son contenu originel, la bibliothèque quitte sa fonction d’objet d’étude et devient le socle qui réceptionne le travail d’un autre créateur.
Frédéric Teschner présente dans l’Etude d’Eden Morfaux des sérigraphies, Couvertures muettes, 2011. Il s'agit d'images de couvertures de livres desquelles ont été supprimées les titres et les typographies. Devenue muettes, les couvertures ne se lisent plus qu’au travers du graphisme et de l’illustration, faisant appel à la mémoire collective. Que reconnait-on du livre, de son genre, de son époque? On retrouve ce processus d'abstraction dans la Bibliothèque virtuelle, 2006, de Yann Sérandour où les transformations opérées et les changements de contexte induisent de nouvelles lectures. Le spectateur se trouve devant une vidéo qui présente des tranches de livres d’où sont soustraits les éléments typographiques. Quittant le champ de la connaissance, les sérigraphies présentées comme des portraits ou la vidéo d’une bibliothèque aux ouvrages muets font basculer le livre du champ de la connaissance vers le champ de l’art.
Si la référence au savoir est traitée verticalement dans la pièce d’Eden Morfaux, (références à l’histoire de l’art), elle devient circulaire, dans La totalité des propositions vraies, 2009, la bibliothèque présentée par Julien Prévieux. Le spectateur naturellement invité à la lecture par ce présentoir en cercle, s’aperçoit vite que le savoir qu’on lui propose est complétement obsolète (Windows 95 pour les nuls ou l’URSS, le pays où le soleil ne se couche pas). Pris dans l’inertie provoquée par une circularité à l’opposé de la linéarité occidentale en course vers le progrès, le spectateur a le loisir de s’interroger sur ses propres connaissances et leurs validités.
De la pensée à la forme
Sébastien Vonier relève sur des plans des portions de ville qu’il choisit pour leur régularité. Par un acte proche du ready made, il reproduit ces plans en sculptures uniformément blanches de quelques dizaines de centimètres d’épaisseur destinées à être accrochées au mur, prennant. Ces volumes ont la forme d’étagères hors norme, aptes à supporter un savoir sans limites de formes. En passant du plan à la sculpture, l’artiste opère un glissement d’usage et propose de nouvelles modalités d’appréhension. Là où la lecture d’un plan de ville convoque l'esprit, le regard sur la sculpture 533, 2006-2012, fait appel à une perception où le corps du spectateur entre en jeu (la notion d’étagère naissant d’un rapport d’échelle). Dans la pièce L’espace une vue de l’esprit, 2012, l’artiste réalise pour le centre d’art de Colomiers, un mur d’escalade dont le point de départ est la projection de terre sur l’ouvrage du géologue Hervé Regnault, L’Espace une vue de l’esprit, 1998. Le livre disparaît sous la matière et laisse la place au geste de l’artiste. Les formes, contraintes par le jeté, une fois cuites, s’ordonnent en un mur d’escalade qui résonne avec le corps du spectateur. Comme une invitation à explorer cette nouvelle cartographie verticale de l’espace...
Dans les œuvres présentées, le rapport au corps passe par une forme sculpturale, forme que l’on retrouve dans lesBibliothèques Fantômes, 2011, d’Elvire Bonduelle, meubles sur mesure ayant été conçus pour adhérer à un espace particulier. Elles se présentent vides et décontextualisées, ne montrant finalement que la trace des intérieurs qui les abritaient. Ces bibliothèques aux espaces vacants nous invitent à réinventer notre rapport au savoir où l’accumulation de données, indéniablement se confronte aux trous de nos mémoires. A une bibliothèque qui, par l’accumulation de connaissances qu’elle laisse entrevoir, est garante d’une représentation sociale, Elvire Bonduelle oppose des formes vides, en équilibre instable, détachées des murs support qui assument leurs fragilités.
Des approches poétiques mais également absurdes
Le travail d’Estefañia Penafiel Loaíza est empreint d’une sensibilité qui explore la géographie de la mémoire. A Colomiers elle présente De la rigueur en science #2, 2011. Il s'agit d'un atlas découpé en deux: la ligne de découpe reprend le dessin de l'équateur – la ligne qui a donné le nom du pays d'origine de l'artiste – tel que dessiné par les surréalistes sur la carte Le monde au temps des surréalistes. L'artiste réalise à Colomiers une œuvre emprunte de poésie où le livre constitue la matière première d'une rêverie, Sismographies n°1, conçue à partir de livres cousus et recouverts de cire.
Sammy Engramer expose quant à lui sa Bibliothèque pour un seul livre, forme absurde, constituée par une pièce d’échec, le fou du roi. Elle accueille dans sa gueule l’ouvrage titré A quoi pense l’art contemporain ? Si la pièce fonctionne comme un oxymoron réunissant la connaissance et le jeu, la folie et la raison, elle résonne aussi comme un gag face aux débats sur l’art contemporain, l’essai cité se retrouvant dans la tête d’un fou.
ELVIRE BONDUELLE : Née en 1981 à Paris, vit et travaille à Paris ; www.elvirebonduelle.com
SAMMY ENGRAMER : Né en 1968 à Blois, vit et travaille à Tours – représenté par la galerie Claudine Papillon ; http://sammy.engramer.free.fr Bibliographie : Log, co-édition du centre d’art de Colomiers avec HYX
EDEN MORFAUX : Né en 1977, vit et travaille à Paris ; http://www.edenmorfaux.com/
FREDERIC TESCHNER : Né en 1972, vit et travaille à Paris ; http://www.fredericteschner.com/
ESTEFANIA PENAFIEL LOAIZA : Née en 1978 en Equateur, vit et travaille à Paris – représentée par la galerie Alain Gutharc, Paris. www.alaingutharc.com
JULIEN PREVIEUX : Né en 1974 à Grenoble, vit et travaille à Paris – représenté par la galerie Jousse Entreprise, Paris.http://www.previeux.net/
YANN SERANDOUR : Né en 1974 à Vannes, vit et travaille à Rennes. Représenté par la galerie gb agency, Paris www.rearsound.net
SEBASTIEN VONIER : Né à Ploemeur en 1975, vit et travaille à Pau - représenté par la galerie ACDC, Bordeaux. www.galerieacdc.com
Commissaires d'exposition
Artistes
Adresse
Comment s'y rendre
Bus Tisséo :
Ligne 21 – arrêt Lauragais – Pavillon Blanc
TAD 118 – arrêt montel
Linéo 2 - arrêt Pavillon Blanc
Lignes 150 et 32 – arrêt Pavillon Blanc
Train ligne C :
Depuis gare des Arènes Toulouse : arrêt Colomiers. Tarif Tisseo
Voiture :
N124 sortie 4, parking gratuit de 190 places, place Alex Raymond face à la Mairie