Charpentes épanouies

Exposition
Arts plastiques
Maison des arts « Agnès Varda » Grand-Quevilly
Marion Baruch, La charpente épanouie, 2019 I courtesy de l'artiste et de la Galerie Anne-Sarah Benichou

La charpente désigne la structure – historiquement en bois, plus récemment en métal puis en béton – qui permet de recevoir la couverture, le tout formant le toit d’une construction, d’un bâtiment, d’une habitation. Souvent constituée d’un assemblage complexe d’éléments, la charpente est aussi utilisée pour désigner le squelette humain, que les muscles et les nerfs viennent recouvrir. La peau, enveloppe de la structure du corps, est à l’image des murs et des parois pour un bâtiment.
Par essence structurelle, invisible en règle générale, la charpente est aussi ce qui détermine la forme du toit, de ce qui couvre nos têtes et abrite nos corps des intempéries. Elle participe également à délimiter l’espace intérieur de l’espace extérieur.

Charpentes épanouies est une exposition qui regroupe des œuvres de Marion Baruch, Elvire Bonduelle, Cécile Bouffard et Sandra Lorenzi autour de la notion d’espace, qu’il soit privé ou public. En décentrant le regard pour expérimenter d’autres points de vue qui produisent de nouvelles perspectives, les œuvres rassemblées apparaissent telles des pistes pour réenvisager la manière dont nous concevons les espaces, ceux que nous habitons et que nous construisons notamment, mais aussi les codes qui s’y attachent.

Elvire Bonduelle, qui déploie une pratique joyeuse, clairvoyante et toute en ironie, s’attache entre autres aux formes et apparences des habitats, qu’elle découvre en parcourant les villes connues et inconnues, telles celles de ses résidences artistiques (Los Angeles et Miami aux USA, Bangkok en Thaïlande), mais aussi les banlieues pavillonnaires et autres zones de résidence. Sa série « Maison voiture chien » – qu’elle décline autant sous forme de dessins à la règle qu’à travers la collecte de photographies – vient souligner et déconstruire avec humour, sur un mode un brin naïf, le mythe d’un certain bonheur standardisé dont l’équation ‘maison + voiture + chien = bonheur’ est régulièrement vendue comme vraie. En multipliant les formes de chaque composante de l’équation, l’artiste en révèle la dimension stéréotypée, l’absence d’inventivité et de singularité. Le monde dans lequel nous vivons est un monde fait de standards et de normes qui ont envahi la quasi-totalité des objets, espaces et échanges qui traversent nos quotidiens. Nos habitats et nos modes d’habiter ne sont évidemment pas épargnés. En réponse, Intérieur Bangkok, toujours dessiné à la règle, vue d’un intérieur, plus spécifiquement un salon, au sein duquel une forme presque molle présente sur le canapé s’apparente à un corps humaine. Etrange et large coussin, cette forme n’en est pas moins celle d’un corps mou et désarticulé, manière pour l’artiste d’imaginer le calage idéal de soi dans son canapé en vue d’un repos réparateur auquel les tensions du monde actuel semblent susciter un désir quasi permanent ; manière donc de venir prendre soin de soi dans son espace intérieur. 

Pour sa part, Sandra Lorenzi – dont les œuvres plastiques et poétiques mettent en critique et en regard nos cultures des mystiques traditionnelles et contemporaines, expérimentant avec avidité les images, les idées et les histoires, qui font le monde d’aujourd’hui – détourne pour l’exposition une armoire de mariage normande pour en faire le cadre d’un seuil. Du rituel de passage que représente le mariage dans les traditions populaires, l’armoire normande - dite de mariage - devient la porte de passage qui, du fait de la transmutation des énergies, ouvre sur un espace cosmogonique comme le lieu de soin et d’expression de nos âmes. La dissolution du blanc ouvre la porte du jardin obscur est une installation composée d’une large peinture murale, dont le dessin puise à plusieurs sources. Des fresques de la peinture italienne gothique (Duccio, Giotto et Fra Angelico notamment), elle s’inspire également de La Cité des dames, premier texte féministe de la littérature française écrit en 1405 par Christine de Pizan. Ce texte allégorique relate la construction d’une cité idéale faite par les femmes pour les femmes. La reproduction d’une miniature du manuscrit, collée sur le mur, représente d’ailleurs l’autrice posant les pierres de l’édifice, alors même que l’acte de construire semble, depuis près de 4000 ans, relever plutôt du domaine des hommes. 

Les Boosters énergétiques, disposés en hauteur dans les espaces d’exposition, participent à ce souci de soin. Ils ont pour fonction de réénergiser le lieu autant que celles et ceux qui y circulent. Tandis que le Forte est accroché au revers du seuil jouant d’une forme puissante d’action sur les énergies qui circulent à l’entrée, le Mezzo intervient sur une tonalité plus moelleuse, à mi-parcours, dans cet espace plus intime qu’évoque les œuvres de la seconde partie de l’exposition.  

Quant à Marion Baruch, elle déploie depuis plus de 50 ans une œuvre au féminin où la question de l’espace, autant privé que public, personnel que politique, n’a cessé de traverser ses œuvres. La construction de sa maison en Italie au début des années 1960 à laquelle elle participe tant à la conception, qu’au suivi du chantier lui permet de faire l’expérience concrète de l’espace en trois dimensions. Episode fondateur, l’artiste n’aura de cesse d’explorer à travers une œuvre protéiforme et plurielle les enjeux de l’espace. Réalisée en 1969, la série
« Abito-conteninore » – littéralement en italien « contenant que j’habite » – constitue une mise en pratique de cette expérience, incluant autant le corps que ses mouvements dans la dynamique de l’œuvre. Robe-chasuble enveloppant un individu de la tête aux pieds, ce projet de design radical, pensé comme un habitat plutôt que comme un vêtement, sonde la place du corps, celui de la femme notamment, dans l’espace public et dans ses interactions avec les autres. Contemporaine de la libération sexuelle, cette œuvre de Marion Baruch interroge la réalité de cette libération, rappelant combien la société patriarcale n’est pas prête à renoncer au contrôle du corps des femmes.

Les œuvres présentes dans l’exposition appartiennent à un travail initié par l’artiste au début des années 2010. S’emparant des chutes de tissu jetées par l’industrie du prêt-à-porter après découpe des formes nécessaires à la fabrication des vêtements, en un geste minimaliste et conceptuel, l’artiste révèle l’espace dans un jeu de positif-négatif. Véritables ready made réinventés, ces pièces de tissu (cotons, fibres synthétiques, tissus extensibles, etc.), aux textures plurielles, se caractérisent par leur fluidité ainsi que par une certaine fragilité. Ne conservant parfois que de minces filets de tissus, ces fragments de textile dessinent sur le mur ou dans l’espace, selon les choix et les gestes d’installation, des sortes de squelettes souples suggérant possiblement des plans d’architecture, des ponts suspendus, des commodes, des silhouettes, des parures, etc. Ces formes abstraites évocatrices, face auxquelles le regard ne cesse d’osciller entre la perception des pleins et celles des vides, sur le principe du lapin-canard, dialoguent également avec certaines figures artistiques emblématiques (les Wall Hanging (Pièces de feutre suspendues au mur) de Robert Morris, les concetto spaziale de Lucio Fontana voire certaines peintures de Shirley Jaffey).

Enfin, Cécile Bouffard, chez qui les objets et leur façonnage relèvent autant de l’habilité que de l’inventivité bricoleuse, crée des formes qui suggèrent des modes possibles d’agir, des manières ouvertes de s’en saisir. Pour l’artiste, l’habileté s’envisage comme une façon d’être intensément sensible aux matériaux et aux processus de leur transformation. Elle se souci autant qu’elle prend soin des matières qu’elle travaille. Les étapes de ponçage manuel notamment impriment la trace de la main, de cette manière particulière d’agilité et de préhension que la main permet. Les différents traitements des matériaux, les modalités d’assemblage, d’invention et autres formes de conjugaison des matières entre elles provoque des formes à la définition incertaine, à la compréhension flottante, séduisantes par leur étrangeté teintée de familiarité. Les Lambinxs, nommées à partir du verbe lambiner qui évoque un mode d’agir avec lenteur et mollesse, se déploient dans l’espace entre une tension vers le sol et la légèreté aérienne de leur suspension dans l’espace. Evoquant des méduses ou des vaisseaux aériens, la tension de leur apparent amarrage suggère également un désir d’émancipation de la sculpture vis-à-vis du sol. Les pans de tissu qui les habillent tissent des espaces de complicité avec les œuvres de Marion Baruch. 

Please Welcome, qui vient comme se glisser entre La charpente épanouie et De l’espace du canapé de l’artiste d’origine roumaine, apparaît comme une invitation à entrer dans l’espace privé, intime de la maison. Habillée de tissu molletonné à l’intérieur, détail que l’on découvre en prenant le temps d’une patiente observation, et parée d’une sorte de cédille latérale, Please Welcome joue également sur le registre du décalage et de l’humour, évoquant les caricatures pleines de subtilités d’Abner Dean, caricaturiste New Yorkais des années 1970. Dotées de titres qui convoquent autant des personnages que des modes d’agir, toujours malicieuses, flirtant avec l’intime, suggérant des regards caressants, apparaissant parfois groupées telles des essaims proliférant, les sculptures de Cécile Bouffard renvoient à une manière affectée et sensible d’habiter les espaces.

Charpentes épanouies c’est également la charpente de la Maison des arts, autant que sa structure intérieure, rendue visible par les œuvres qui viennent habiter l’espace. Tandis que l’édition du dessin à la règle de Maison voiture chien, issue de la collection de l’artothèque, ouvre l’exposition sur le thème de la maison, renvoyant le nom du Centre d’art contemporain à sa fonction d’habitation individuelle, La dissolution du blanc ouvre porte du jardin obscur de Sandra Lorenzi épouse les contours du faitage, dont la pointe supérieure de la peinture culmine à 4,50 m de hauteur. Depuis le seuil de l’exposition, la charpente se superpose ainsi au trompe l’œil mural ; espace réel et espace fictionnel se rencontrent dans une même perception dès l’entrée, amplifiant la mise en abîme de cette porte s’ouvrant dans le mur.

Les Boosters énergétiques de Sandra Lorenzi accrochés en hauteur viennent pour leur part souligner la présence des linteaux en bois de l’architecture vernaculaire. Et, les structures de Cécile Bouffard sont suspendues dans l’espace de l’exposition depuis les poutres de la charpente, révélant à nouveau leur présence. Tout comme Ultramobile I de Marion Baruch dont les pieds se connectent au sol produisant l’effet d’une sculpture d’angle, les Lambinxs de Cécile Bouffard connectent le sol à la charpente, reliant fondation et structure. Chacun des œuvres de l’exposition, ensemble autant qu’isolémenent, ouvre des espaces autres, sensibles, affectés, pluriels, ouverts, découverts, étrangers, curieux, sensuels, réparateurs, etc. 

Dans « Habiter l’exposition. L’artiste et la scénographie », Mathilde Roman, se référant à Donna Haraway, précise que
« la notion d’habiter invite le trouble, le vécu, l’épaisseur sensible dans l’expérience esthétique et réhabilité des logiques de contagion ». Ainsi donc, déployer une exposition en tant que milieu, depuis la pensée de Dona Haraway, est à la fois une manière de faire avec l’espace autant que de faire espace, permettant notamment d’ouvrir des « espaces de
réciprocité ».

L’exposition devient une marge d’expérimentation où se déploie d’autres modes de relations dans lesquels autant les œuvres se relient et dialoguent entre elles, autant nous – en tant que visiteur, visiteuse, spectateur, spectatrice – « nous nous relions, construisons des connaissances, pensons, faisons monde et racontons des histoires avec et à travers d’autres histoires, d’autres mondes, d’autres connaissances, d’autres pensées, d’autres désirs ».

L’ambition de Charpentes épanouies est ainsi de faire avec l’espace autant que de faire espace, notamment conjugué au féminin, et par là de venir déployer des formes renouvelées  de relations, de discussions autant que de réciprocités. 

Commissaires d'exposition

Horaires

Du lundi au samedi de 14h à 18h 
& sur rendez-vous

Tarifs

Entrée libre

Accès mobilité réduite

Oui

Adresse

Maison des arts « Agnès Varda » 3 Allée des arcades 76120 Grand-Quevilly France

Comment s'y rendre

En transport en commun :
depuis le centre ville de Rouen vers la Maison des arts :
Métro, direction Georges Braque Grand Quevilly - arrêt JF Kennedy

En voiture :
A13 direction Rouen puis N138 et N338, sortie Grand-Quevilly-Centre

En train :
Gare de Rouen Rive-Droite puis métro direction Georges Braques - arrêt JF Kennedy

 

Dernière mise à jour le 13 octobre 2022