Chactas en méditation sur la tombe d’Atala, une œuvre de Francisque Duret

Par Xavier-Philippe Guiochon
Francisque-Joseph Duret, Chactas, 1835

Francisque-Joseph Duret, Chactas, 1835 (FNAC PFH-5888). Vue d’ensemble dans le jardin intérieur du Musée des Beaux-Arts de Lyon.

Chactas, par Francisque-Joseph Duret

Francisque-Joseph Duret, Chactas, 1836 (Achat à l'artiste en 1836, Inv. : FNAC PFH-5888). Lyon, Musée des Beaux-Arts.

Chactas, par Francisque-Joseph Duret

Francisque-Joseph Duret, Chactas, 1836 (Achat à l'artiste en 1836, Inv. : FNAC PFH-5888). Lyon, Musée des Beaux-Arts.

Chactas, par Francisque-Joseph Duret

Francisque-Joseph Duret, Chactas, 1836 (Achat à l'artiste en 1836, Inv. : FNAC PFH-5888). Lyon, Musée des Beaux-Arts.

Détail de la signature du fondeur parisien Edouard Quesnel et de la date 1836

Détail de la signature du fondeur parisien Edouard Quesnel et de la date 1836

Chactas, par Francisque-Joseph Duret

Francisque-Joseph Duret, Chactas, 1836 (Achat à l'artiste en 1836, Inv. : FNAC PFH-5888). Lyon, Musée des Beaux-Arts.

Vue du côté droit de la figure de Chactas, avec à ses pieds la croix du tombeau, et une branche de lierre, symbole funéraire mais aussi d’attachement à l’être disparu, s’agrippant au rocher.

Mercure inventant la lyre, par Francisque-Joseph Duret

Francisque-Joseph Duret, Mercure inventant la lyre, 1860 (Achat par commande au mouleur Desachy, Inv. : FNAC PFH-4321). Laval, Musée du Vieux-Château

Ce moulage en plâtre exécuté en 1860 est un achat par commande au mouleur parisien Desachy (atelier de moulage de l’École des Beaux-Arts de Paris). Il permet d’évoquer la statue en bronze commandée en 1849 (FNAC PFH-1620), et détruite en 1873 lors de l’incendie de l'Opéra de la rue Le Peletier à Paris. Le destin de cette effigie du jeune dieu grec inventant la musique est particulier : le bronze avait lui-même été exécuté d’après un modèle en plâtre, conservé par l'artiste, de la statue en marbre, acquise par le roi Louis-Philippe en 1831, exposée au Salon de 1831 (n°2213) et elle-même détruite en 1848. Seuls subsistent ainsi des moulages de cette sculpture dont cet exemplaire grandeur nature (174,5 x 68 x 65 cm) déposé dès 1860 au musée de Laval.

Oreste, par Francisque-Joseph Duret

Francisque-Joseph Duret, Oreste, 1824-1825 (Achat (Envoi réglementaire de Rome) en 1825, Inv. : FNAC PFH-4337). Avignon, Musée Calvet.

Ce buste en marbre a été exécuté par Duret lors de son séjour à l’Académie de France à Rome (ou Villa Médicis) entre 1824 et 1825, à la suite de l’obtention du Prix de Rome en 1823 pour son bas-relief Douleur d’Evandre sur le corps de son fils Pallas. Il s’agit en effet d’un envoi réglementaire de Rome 1825, chaque pensionnaire étant tenu d’envoyer à Paris des travaux annuels qui constituaient des exercices obligés pour tous les pensionnés et qui étaient aussi jugés. Ce buste en marbre blanc, est l’héritier de la pratique instituée dès le 17e siècle des figures d’expression. Évoquant la figure mythologique du jeune grec Oreste, fils d’Agamemnon, et meurtrier de sa mère Clytemnestre, l’horreur et l’effroi se lisent sur le visage desespéré du jeune homme. Ce buste est déposé en 1833 au Musée Calvet d’Avignon.

L’achat et le dépôt en 1836 au Musée des Beaux-Arts de Lyon de l’œuvre Chactas en méditation sur la tombe d’Atala du sculpteur français Francisque Duret, témoigne d’une certaine considération de l’État en faveur du développement des nouveaux courants du Romantisme, et annonce un profond renouvellement iconographique de la représentation de l’homme face à son destin par le biais de la figure pittoresque d’un indien.

Atala, ouvrage fondateur du Romantisme

L’œuvre de Francisque Duret s’inspire d’une œuvre romanesque qui marquera la culture française et européenne de la première moitié du XIXe siècle, « Atala, ou Les Amours de deux sauvages dans le désert », roman publié par François-René de Chateaubriand en 1801. S’il n’est pas possible ici de s’étendre sur le retentissement littéraire de ce roman et sur son caractère pionnier dans la création de la figure de l’Indien dans l’imaginaire occidental et américain, il n’est pas inutile d’en rappeler les grandes lignes narratives car la sculpture de Duret en est une illustration directe.

En Louisiane sur les rives du Meschacebé, un vieil Indien (Chactas) de la tribu des Natchez raconte les aventures de sa jeunesse à un jeune Français nommé René. Fils adoptif d'un chrétien, Chactas est fait prisonnier à l’âge de 20 ans, puis sauvé par Atala, une jeune Indienne éduquée dans la foi chrétienne. Ils s’enfuient à travers la forêt où un terrible orage les oblige à s'abriter sous un arbre. Après une longue errance, ils rencontrent un missionnaire qui entreprend d’unir Atala et Chactas, en convertissant ce dernier au christianisme. La mère d'Atala avait promis devant Dieu que sa fille resterait vierge. Atala s'empoisonne pour tenir la promesse de sa mère et ne pas succomber à la tentation, malgré son amour pour le jeune indien. Alors qu’elle se meurt dans les bras de Chactas, Atala lui demande de se convertir enfin au christianisme.

Le tableau d’Anne-Louis Girodet, présenté au Salon de 1808 sous le titre Atala au tombeau dit aussi Les Funérailles d’Atala - aujourd’hui conservé au Musée du Louvre – contribue à la renommée du roman dans l’histoire de l’art. Par ailleurs, ce roman sera largement évoqué dans près d’une cinquantaine d’œuvres dans les Salons de peinture de 1802 à 1848. Notons que sur l’inventaire du Fonds national d’art contemporain, plusieurs œuvres reprennent l’iconographie du roman de Chateaubriand, comme la statue d’Eugène Marioton Chactas (FNAC 1275), acquise en 1888, ou encore le tableau d’Elie Nonclerq Chactas et Atala (FNAC 207), acquis en 1881.1

Francisque Duret : un sculpteur romantique honoré par les commandes de l'État

Francisque Joseph Duret dit Francisque Duret, est né le 19 octobre 1804 à Paris, ville où il décède le 25 mai 1865. Fils du sculpteur François-Joseph Duret (1732-1816), qui lui enseigna son art, il est l’élève du baron Bosio, figure emblématique de la sculpture sous la Restauration. Prix de Rome en 1823, il séjourne à Rome, à la villa Médicis de 1824 à 1828. Professeur à l’École des Beaux-Arts de Paris de 1852 à 1853, il allait notamment être, au sein de son atelier, le maître de nombreux sculpteurs qui vont marquer de leur empreinte la création artistique du XIXe siècle : Jean-Baptiste Carpeaux, Jules Dalou, Henri Chapu et Alphonse Lami. Sa carrière ne manquera pas d’être marquée par de nombreux achats ou commandes de l’État.  Ainsi dès 1825, un buste en marbre d’Oreste, FNAC PFH-4337, exécuté entre 1824 et 1825, est acheté par l’État. Outre le Chactas en 1836, d’autres œuvres suivront comme Le Christ exécuté pour l’église de la Madeleine à Paris (FNAC PFH-7619), le Mercure inventant la lyre, marbre datant de 1831 et bronze éxécuté en 1849 (FNAC PFH-1620) et un ensemble de bustes exécuté pour l’Institut de France : Jean-Antoine Letronne en 1848 (FNAC PFH-3589), Paul Delaroche en 1856 (FNAC PFH-3604), Adolphe Adam en 1857 (FNAC PFH-3603), Pierre-Charles Simart en 1857 (FNAC PFH-3665), Charles Lenormant en 1860 (FNAC PFH-3607). Il n’est pas anodin de souligner que Duret exécute en 1849 une statue de Chateaubriand (FNAC PFH-3602).

Chactas en méditation sur la tombe d’Atala, une œuvre romantique exposée au Salon de 1836

Cette statue en bronze à taille réelle est exposée au Salon des Artistes Vivants sous le numéro 1912. Exécutée en collaboration avec le fondeur parisien Edouard Quesnel, elle est achetée par l’État le 24 décembre 1836 pour la somme de 5 000 francs, puis est immédiatement déposée au Musée des Beaux-Arts de Lyon. Elle représente le jeune indien, assis sur un rocher, courbé en avant, soutenant sa tête de la main gauche, son bras droit retombant entre ses genoux. À ses pieds, une croix portant l’inscription ATALA, évoque la jeune disparue. L’ensemble de son attitude et de son visage exprime la douleur et la mélancolie. Cette œuvre est une évocation directe du passage de Chateaubriand, consacré aux funérailles d’Atala où Chactas est « enseveli dans la plus amère rêverie ». La figure de Chactas présente un intérêt artistique multiple puisqu’elle combine des traits stylistiques issus de la sculpture classique, des réminiscences des figures christiques jusqu’aux formes allégoriques de la Mélancolie. Mais c’est ce dernier aspect qui, associé aux nouvelles thématiques formulées par l’ouvrage de Chateaubriand, tragédie « moderne et chrétienne », font de cette statue une œuvre emblématique d’un romantisme sculptural alors en plein essor, combinant des références à l’antique, des nouveaux sentiments religieux et philosophiques, une fascination pour l’exotisme, un attrait pour le primitivisme et les côtés obscurs de l’humanité.

Chactas ou la figure de l'homme face à l'énigme de son destin 

En effet, suite aux bouleversements de la Révolution avec l’émergence d’une société où la force de l’âme, l’esprit et la sensibilité sont promus au rang de qualités modernes, les héros classiques comme Achille ou Hercule perdent leur statut de figures d’identification. La nouvelle psyché collective se caractérisant par la recherche de nouveaux modèles de substitution, la sculpture de Francisque Duret inaugure cette exploration d’allégories modernes, dont les nouvelles figures vont hanter durablement l’imaginaire occidental. Le Chactas de Duret exprime la tension résultant du conflit entre le corps et l’esprit, entre la nature et la pensée. Tout comme les perdants, les mélancoliques, les révoltés par désespoir, le jeune indien est bien le nouveau héros du Romantisme.

Cette figure d’un homme accablé et pensif préfigure le dantesque Ugolin, en proie à l’impuissance face à sa propre mort et portant le poids de la responsabilité de la mort de ses enfants, comme Jean-Baptiste Carpeaux le montre dans son modèle datant de 1857-61, Ugolin et ses fils. Mais la figure mélancolique et exotique de Chactas symbolisant l’extrémité du désespoir face à la destinée humaine est aussi à rapprocher des représentations du plus bel Ange déchu : ce Satan figuré désormais comme une allégorie de l’Homme abandonné à son sort, comme en témoignent les œuvres de Jean-Jacques Feuchère, Satan, datant de 1833, de Joseph-Michel-Ange Pollet (Satan et Eloa ou la sœur des anges) ou encore des sculpteurs belges Joseph et Guillaume Geefs, exécutées rétrospectivement en 1842 et 1848, sous le titre emblématique du Génie du Mal.

La figure sculptée de Chactas en méditation sur la tombe d’Atala, héros abandonné à sa désespérante solitude, inaugure une longue série d’œuvres évoquant la réunion des amants dans la mort comme une forme à la fois religieuse et sécularisée d’immortalité. Ainsi de la représentation de l’indien Chactas pleurant l’être aimé, à celle de la figure énigmatique de l’Ange de Giulio Monteverde (1882, cimetière de Staglieno à Gênes), c’est bien la même lancinante interrogation sur la destinée humaine et sa finitude que, peut-être, seule la sculpture romantique et symboliste européenne aura réussi à exprimer au cours de ce XIXe siècle marqué par l’affirmation de la sculpture commémorative.

Xavier-Philippe Guiochon
Conservateur en chef du patrimoine

Pour en savoir plus

L'ange du bizarre : le romantisme noir de Goya à Max Ernst : [exposition, Francfort-sur-le-Main ,Städel Museum, 26 septembre 2012-20 janvier 2013, Paris, Musée d'Orsay, 5 mars-9 juin 2013 / commissariat Côme Fabre, Félix Krämer ; textes par Annie Le Brun, Johannes Grave, Hubertus Kohle [et al.] ; préface par Guy Cogeval et Max Hollein. - Ostfildern ; Paris : Hadje Cantz : Musée d'Orsay,

Les sculptures de l'École des beaux-arts de Paris: histoire, doctrines, catalogue / Emmanuel Schwartz. - Paris : École nationale supérieure des beaux-arts, 2003.

Le dernier portrait: [exposition,  Musée d'Orsay, Paris, 5 mars-26 mai 2002] / Commissaire générale, Emmanuelle Héran, et al. ; Commissaire pour la photographie, Joëlle Bolloch. - Paris : Réunion des musées nationaux : Musée d'Orsay, 2002.

Chateaubriand et les arts : recueil d'études / Sylvain Bellenger, Jean-Claude Berchet, François Bergot  [et al.] ; sous la dir. scientifique de M. Marc Fumaroli. - Paris : de Fallois, 1999.

Emmanuelle Heran, Le Chactas de Francisque Duret, in Bulletin municipal des Musées de Lyon, n°1-2. – Lyon , 1994, pp 36-51.

La sculpture française au XIXe siècle: [exposition, Galeries nationales du Grand Palais, Paris, 10 avril-28 juillet 1986] / Organisée par la Réunion des musées nationaux. - Paris : Éd. de la Réunion des musées nationaux, 1985.

L'Amérique vue par l'Europe: [exposition, Grand Palais, 17 septembre 1976-2 janvier 1977] / Exposition organisée par le Cleveland Museum of art, avec la collaboration de la National Gallery of Art de Washington ; [trad. de l'anglais] ; Catalogue par Hugh Honour. - Paris : Éditions des Musées nationaux, 1976.

 

1 La statue de Marioton, acquise au Salon des Artistes Français (n°4398) le 30 juin 1888 pour la somme de 7 000 francs et déposée en 1897 au Musée des Beaux-Arts de Rouen, est aujourd’hui gérée par le Musée d’Orsay (RF 845). Le tableau de Nonclerq, acquis au Salon de la Société des Artistes Français (n°1742) le 5 juillet 1881 pour la somme de 2 000 francs et déposé en 1881 au Musée des Beaux-Arts du Havre, a vraisemblablement disparu lors de la deuxième guerre mondiale. 

Dernière mise à jour le 17 mai 2021