Bettina Samson

Metiista Loop Loop
Exposition
Galerie Sultana Paris 20

Opérant des « prélèvements » dans l'histoire culturelle et technique moderne. Bettina Samson conçoit des œuvres protéiformes qui apparaissent comme des condensés dans lesquels viennent se superposer – voire parfois entrer en collision – références et époques.

Sa seconde exposition personnelle à la Galerie Sultana met en exergue le recours à l'artisanat et le travail de divers matériaux à travers un ensemble d'œuvres oscillant entre mise en forme et informe, abstraction et figuration. Qu'elles soient « brutes » ou façonnées par des artisans, les formes en présence relèvent la plupart du temps de motifs associant réversibilité et mise en boucle. Croisant anthropologie, mathématiques et fictions, elles procèdent d'une expérience sculpturale qui implique de nouveaux gestes n’excluant pas les coïncidences.

Simplement posée contre l'un des murs de la galerie, l'œuvre Klein Bottle for a Blowgun (after Lévi-Strauss), désormais titrée Three Loops for a Fourth Dimension,consiste en une structure en acier recouverte de résine, de sable et de pigments lui conférant un aspect argileux que viennent accentuer les quelques lianes factices ajoutées suite à son passage au Jardin des Plantes (Fiac 2011). Constituée de trois boucles continues, elle tire son origine d'une figure de bouteille de Klein apparaissant dans un chapitre de La Potière jalouse (1985) de Claude Lévi-Strauss, dans lequel l'anthropologue s'approprie cette forme si singulière en vue d'illustrer la structuration de certains mythes d'Amérique du Sud traduisant la mise en continuité des fonctions spatiale, interne et externe du corps.

À ses côtés est montrée « Mètis et Metiista », série inédite de cinq sculptures en verre borosilicate transparent déformé puis soufflé, inspirée de la variation de bouteilles de Klein réalisée en 1995 par le scientifique et souffleur britannique Alan Bennett, et exposée au Musée des Sciences de Londres. Décrite pour la première fois en 1882 par le mathématicien allemand Felix Klein et étroitement liée au ruban de Möbius, la bouteille de Klein désigne en topologie(1) une seule surface fermée, sans bord et non-orientable : l'intérieur devenant l'extérieur et vice versa, elle semble ainsi, à moins d’intégrer une quatrième dimension, se traverser elle-même.
Entre improbables alambics à distiller et artefacts anthropo/zoomorphes d'une civilisation non identifiée, ces pièces de verre arborent ici un syncrétisme des plus transparents, réunissant la forme topologique de la bouteille de Klein, sa représentation dans un espace en trois dimensions expérimentée par Alan Bennett et l'analogie effectuée par Claude Lévi-Strauss dans son étude. Elles convoquent ainsi un faisceau de champs référentiels (et d'appropriations) allant de l'alchimie aux mathématiques en passant par l'anthropologie, voire – non sans un soupçon d'humour – la sculpture moderne abstraite (Max Bill, Henry Moore). 
Par quelque habile ruse (la mètis en grec ancien), le savoir-faire de l'artisan (metiista en esperanto) auquel l'artiste a fait appel a littéralement donné corps à ces objets incarnant la métamorphose, tant à travers les contorsions de matière qu'ils donnent à voir qu'en regard de leur processus de fabrication impliquant diverses manipulations et transformations.

Evoquant quelque créature bicéphale « sens dessus dessous » telle la figure du Trickster (« fripon divin ») théorisée par l'anthropologue Paul Radin, et prolongeant les notions de réversibilité et d'infini à l'œuvre avec la surface de Klein, Mishigamaw (Trickster), un bois flotté récupéré et greffé de « dents » de cuivre natif, suggère le passage du temps et ses effets sur la matière, laquelle, selon un mouvement d'entropie renversée, recouvrerait son état originel, opérant alors une sorte de boucle temporelle.

Mêlant nature et artifices, science et fiction, envers et endroit, les œuvres de Bettina Samson présentées dans cette exposition reflètent une ambivalence, voire un paradoxe que pourrait illustrer à elle seule la photographie Night-blooming Cereus, image scannée d'une photo, reproduite en couverture d'un numéro datant de 1940 de The Desert Magazine, d'une fleur de Cereus greggli éclose. Ou comment, à travers un procédé technique impliquant la lumière, immortaliser la fleur d’une espèce botanique désertique (cactus) qui s'ouvre la nuit, et ce une seule et unique fois par an avant de se refermer, et de s'éteindre.

Adresse

Galerie Sultana 10 rue Ramponeau 75020 Paris 20 France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020