AU TRAVAIL !

UNE EXPOSITION DE HARALD FERNAGU MAXIME LAMARCHE, THOMAS BRAIZE, SHAN GAO
Exposition
Arts plastiques
le quai 294M9 / la gare Saint-Maurice-lès-Châteauneuf

 

Pour la fin de l’année 2014 Esox Lucius me prête généreusement les clefs de son garage. Une envie pour moi alors, d’y mettre le contact en invitant de jeunes artistes à partager cet espace avec moi. Qu’est ce que le travail? J’ai déjà pu entendre l’agacement de certains collègues artistes de ne plus supporter l’appellation “travail“ pour nommer  une œuvre. Pour ma part et vous l’aurez compris puisque je les nomme “collègues“, cette activité appelée travail me plait. Non pas parce qu’elle renseigne, mais plutôt parce que c’est une notion qui nous place sur une ligne collective embrassant bien plus que l’art. Ce n’est pas déprécier l’art ou les œuvres que de les intégrer à une activité humaine partagée. C’est revendiquer notre rôle social et modestement, prendre plaisir à intégrer une chaîne de montage.

Préambule :

« L’inattendu est ce que l’on définit comme le réel du travail. Le réel est ce qui résiste à la maîtrise par les moyens conventionnels. (…) Le monde réel résiste. (…). Le réel se fait connaître au sujet par un effet de surprise désagréable, c’est-à-dire sur un mode affectif. C’est toujours affectivement que le réel du monde se manifeste au sujet. (…). Ainsi est-ce dans un rapport primordial de souffrance dans le travail que le corps fait l’expérience du monde et de soi-même. » p75, 76 Pascal Molinier Les enjeux psychiques du travail. Petite Bibliothèque Payot. 

N’est-ce-pas paradoxal de penser que cette personne agacée par le disfonctionnement de son imprimante, ou ces autres, énervés de l’attente d’un train en retard sont, en fait, dans une expérience d’eux même, qu’ils  avancent, grandissent ? Il y a ainsi une brouille porteuse entre un monde conceptualisé, prédéfini, et l’échec de sa mise en pratique. Dans le fordisme, on tente de maîtriser ce réel nuisible au rendement. Dans cette chaîne, le donneur d’ordre a pratiqué, anticipé, pour l’ouvrier l’altérité du réel et en impose des solutions rationalisées. Le réel du travail, devient ainsi un privilège de caste. Dans notre organisation sociale, le travail est posé comme un service à un tiers et non à celui qui le produit. Là où l’imprévu demande de l’invention, une conscience élargie, le marché initié par le consommateur, norme, dissocie, optimise. Dans l’atelier de l’artiste, il n’y a qu’un commanditaire absolu, l’artiste lui même. Les acheteurs, quels qu’ils soient, n’imposent qu’un déplacement parmi d’autres. Dans le travail de l’artiste l’altérité provoquée par le réel est une ressource. Se saisir de cette réalité c’est travailler, aller au travail, différemment. Cette pratique devient alors une culture, un usage social posé au monde, un savoir être. Nous avons cette chance.

Lorsque j’observe les œuvres de Maxim, Thomas et Gao, j’y perçois l’amplitude qui élabore les formes, leurs déplacements, leurs gestes, leurs efforts. Dans l’exposition, cette temporalité “laborieuse“ s’offre à notre attention. Après toutes expositions les œuvres repartent en réserve, dans un huit clos sans regard. Mais quand vous connaissez bien une œuvre, vous avez le pouvoir de la saisir à travers les parois de la caisse qui l’enferme. C’est l’excitation de celui qui connaît le protocole de mise en espace. Le plaisir, le don, du régisseur qui d’un regard, embrassant plusieurs caisses, se construit un Louvre pour lui tout seul. Le travail de vie d’une œuvre ne s’arrête jamais. C’est cette réalité que j’ai choisie ici d’énoncer. La question de la réserve, c’est aussi la question de notre état, de l’issue de notre travail : l’inventaire d’un point de vue sur nous même.

 Maxime Lamarche

Maxime Lamarche, parce qu’il a depuis toujours pratiqué l’atelier automobile de son père, de son grand-père, connaît bien, par usage et héritage, la culture qui s’y construit. Réparer des voitures, c’est réconcilier le fordisme avec la main de l’homme. Il y a souvent quelque chose d’anthropomorphique dans le regard qui nous lie à notre voiture. Dans l’installation Il y a des ailes, hélas il n’y a pas d’hélice de 2011, Maxime brise cette histoire. Il fabrique de toute pièce un compresseur avec pour base un moteur de Kawasaki 900 GPZ, la même machine qu’utilisa Tom Cruise dans Top Gun. Ce compresseur n’alimente rien d’autre que l’halogène qui éclaire sa mise en espace. La virilité fabriquée de l’entreprise hollywoodienne semble rejoindre celle des ados sillonnant leur village en faisant vrombir pour le plaisir, les kits bricolés de leurs pétaudières. La mécanique est un spectacle où l’on crée des images autour de gros moteur. La machine sans hélices rugit, comme chante un oiseau en cage, dans l’illusion de liberté d’une image immobile. Ces rêves mécaniques deviennent parfois des mythes. La sublimation de la voiture à son état d’idole, on la retrouve dans Midnightswim 2012. Une Ford vintage, rutilante, coule immobile entre deux eaux. Si nous sommes inviter à revivre là, la scène finale du film Psycho d’Hitchcock, nous sommes toujours dans la sublimation de l’image en regard de l’objet qu’elle désigne. La voiture est ici un artifice. Coupée en deux pour optimiser sa flottaison, elle devient un scénario. Le travail, les gestes produits pour concevoir ses objets sont eux aussi des jeux d’usage repris par Maxime à la culture de l’artisan, du garagiste. Tout y est, jusqu’au petit coup de polish sur les chromes. N’oublions pas les grosses voitures, de celles qui sportives ou décapotables, semblent nous faire plus virils, plus beaux, au ralenti, sur les croisettes de centre ville. Dans Fantôme Drapé 2014, l’illusion d’un drap blanc en résine recouvre et dessine les courbes d’un bolide absent. Ce fantôme est un miroir. Tel ce linceul qui inaugure une absence, notre virilité apparaît comme une coquille vide. Porté par l’artifice de nos cuirasses à moteur, pavanant, nous avons tout simplement peur de notre mort. Dans Soft Serve Boat 201, autre parade, Maxime nous invite à une promenade maritime, bitumées, à bord d’un hybride de voiture et de hors-bord. Son yacht est construit à l’instar de ceux des milliardaires qui possèdent notre monde. Un monde où les futilités excentriques, luxueuses, donnent raison et divertissement à l’ennui social de leur fortune. Mais l’ostentatoire que nous offre Maxime, revendique joyeusement l’altérité, il rouille avec le temps. Ses objets secouent nos stéréotypes sociaux construits d’images que nous croyons être les nôtres. Chaque geste induit un territoire. Du bricolage à l’usinage tendu des formes, ce “travail attitude “ offre du rêve, le déconstruit, sa mécanique nous incarne.  

 

Gao Shan

Tout comme le fordisme, le capitalisme, l’organisation sociale chinoise aura tenté de normaliser elle aussi les rapports humains au travail. Un communisme radical qui imposera comme une guérison de cet irascible réel, le collectivisme. Gao Shan a reçu cette perception sociale en héritage. Mais le collectivisme n’a pas pu niveler la géographie du monde. Pour un jeune en Chine, il y aura autant d’inattendu, d’irascible, à parcourir l’autre extrémité de son pays. Chaque voyage de Gao ici et ailleurs, est alors emprunt de cette conscience : un déplacement, une immersion, une expérience de soi dans un inattendu culturel. La France en fera partie. Gao ne veut pas être un artiste politique, il cherche à construire son propre point de vue. Dans une société où la tradition et les valeurs familiales sont primordiales, l’enfant unique s’est vu confié des responsabilités qui autrefois incombaient à plusieurs. Il n’y a pas de précédent à cette histoire. D’un côté un individu assujetti par le collectivisme, et de l’autre, le même, héritier de tous les espoirs, unique passeur dépassé par sa charge. Les bouleversements sociétaux et économiques qui ébranlent aujourd’hui la Chine accélèrent les antagonismes culturels, l’individualisme. La Chine rejoint là, par d’autres chemins, le mal être des sociétés occidentales de consommation. Gao aime les gens et les rencontres, aime ses parents. Il porte en conscience que les choses peuvent s’écrire différemment. Dans sa vidéo La conversation 2012, il nous fait témoin de ses échanges avec son père. Son destin le prédéfini à la tête de l’usine à charbon familiale. Gao veut être artiste mais ne veut pas fuir ses responsabilités. Dans un long plan fixe, il dépeint l’intérieur de cette usine. La voix de son père accompagne l’image. Des morceaux de charbon tombent d’un tapis roulant pour s’amonceler en tas gigantesque. Dans cette image, l’usine est sublimée, la lumière a la douceur d’un crépuscule, attractive, picturale. La mécanique du tapis roulant est précise, lente, elle prédéfinie immuablement la forme du tas. Les mots de son père transmettent son inquiétude de voir s’éteindre ce paysage. II parle à son fils et l’assure de son envie de le voir épanoui et riche de sa propre expérience. Gao construit dans ce film un tableau qui apaise le poids de ses questions. L’usine se fait œuvre. Elle sur-existe et ainsi, quoi qu’il arrive, sur-existera. Grâce à ce geste de l’image, Gao s’est fait l’unique individu qu’il souhaite être : libre, respectueux.

Dans une seconde vidéo Le bateau rouge 2013, on le voit performatif, pinceau à la main, repeindre en rouge une ossature métallique rouillée. Le travaille est long, laborieux, mais Gao à de l’entrain - Le rouge signe en Chine, comme nos roses, la couleur de l’amour, du mariage - Le temps du labeur prend fin, la caméra recule. Nous sommes sur une plage. Telle une baleine, un chalutier de métal y est échoué. Gao nous le livre magnifié de rouge. Comme on déroule le tapis, il offre sa couleur, son cœur, la poésie de son temps à sa future épouse. Nous sommes les témoins privilégiés de cette demande en mariage. Là où initialement nous avions vu du travail, c’était de l’amour.

Thomas Braize

Pouvoir ce nommer, se définir. Enfant j’habitai à la lisière d’une grande forêt vosgienne. Très tôt et souvent j’ai pu y faire l’expérience de mon corps seul. Cette place parmi les arbres me semblait dédier, évanescente. Etrangement à cet endroit, si nous sommes seul, notre corps n’éprouve pas de solitude. Nous sommes comme une évidence dans l’équilibre physique, vivant, des arbres. Quand j’ai pénétré la première fois dans un espace entreprit par Thomas Braizes, j’ai ressenti quelque chose de cette même expérience. Verticaux, nous sommes arbre et architecture. Les interventions de Thomas sont autant d’arpentages de l’espace. Certaines pièces vissées au mur, posées au sol semblent étalonner notre environnement telles des plantes épiphytes. D’autres plus grandes se prolongent, elles prennent appuis du sol, des murs, du plafond pour se rejoindre dans le vide. Elles révèlent dans un dialogue d’équilibre et de tensions le vivant qui construit nos espaces architecturés. Tellement vivant que nous pouvons parfois, avoir le sentiment que ce sont les murs qui prennent appuis sur les sculptures. Pour révéler Thomas reprend comme une évidence, les matériaux de l’architecture et de son squelette : plâtre, ciment, béton, madriers, poutres, goudron… Son corps est l’atelier mobile où transitent les informations de ce dialogue. Thomas prend son temps, de jour en jour les choses évoluent, se déplacent. Rien n’est prédéfini ni même définitif. L’espace refusera une envie de Thomas, comme Thomas tentera de lui imposer. L’échange est tendu, très physique. Il ne s’agit pas de soumettre l’autre par une idée venue d’ailleurs, mais d’être comme deux lutteurs dont l’un tente de figer le geste, la tension magnifique qui les révèle ensemble. Courroies, tire palette, câbles, brouette, transpalette, pied de biche, élévateur, masse, scie, tronçonneuse et d’autres encore,  les outils et les matériaux sont à l’échelle de ce dialogue. A l’issus de cette lutte, l’espace est comme libéré, accompli, il s’ouvre à nous différemment : l’usage s’est déplacé, nous ne sommes plus un simple occupant assujetti.
 

Harald Fernagu

Tarifs :

ENTREE LIBRE

Commissaires d'exposition

Partenaires

DRAC BOURGOGNE, CR BOURGOGNE, CG SAONE ET LOIRE

Mécénat

PLASSARD DIFFUSION, BANQUE POPULAIRE BOURGOGNE FRANCHE CONTE, CHOCOLATERIE B. DUFOUX

Horaires

LES VENDREDIS, SAMEDIS, DIMANCHES DE 14H30 A 18H30 OU SUR RENDEZ-VOUS

Adresse

le quai 294M9 / la gare Le Quai(294M9) la Gare 140 route de la gare 71740 Saint-Maurice-lès-Châteauneuf France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022