Appât

Aline Morvan travaille à perturber les repères de lecture de notre environnement, invitant à la création de nouveaux territoires, à l’exploration renouvelée de contrées familières. Ce n’est plus seulement notre perception de l’espace ou des signes urbains qu’elle s’évertue désormais à déranger… Pour sa première exposition personnelle à la Galerie des Ateliers d’art & de design de Genève, elle a sélectionné un ensemble de pièces récentes qui abordent de nouvelles perspectives et renouent avec la question du faire et des techniques, invitant à repenser l’usage ou l’utilisation des objets, distillant le doute sur leurs fonctions et leurs origines.

Des expérimentations inédites se développent dans ces travaux, où le geste, le matériau, l’usage, l’accident, sont autant d’éléments qui se rencontrent, s’assemblent, s’accordent ou se repoussent, au creux d’œuvres palimpsestes. Aline Morvan préfère produire des supports à une projection, un ailleurs, qui transite par les notions de décalage et de faux-semblant tout en déjouant et détournant les propriétés des matériaux. Une nouvelle façon, en sorte, de laisser la matière s’organiser. Grâce aux artifices de la maîtrise des matériaux et du dépassement des accidents, sans pour autant faire montre de sophistication technique, elle réalise ainsi des œuvres qui fonctionnent comme des appâts, nous attirent, nous leurrent, nous piègent. Elle dessine un univers minutieux, presque précieux, où le détournement et l’épuisement de la matière, l’expérimentation et la répétition des formes et actions participent du processus créatif. Son travail, qui ouvre le champ technique du métier, propose un rapprochement du travail en atelier et de préoccupations plus conceptuelles. Loin de revendiquer une quelconque « maestria », l’artiste développe son savoir-faire manuel tout en transgressant ses exigences et en éprouvant, dans l’à-peu-près et l’expérimentation, son pouvoir de faire.

Aline Morvan installe sa pratique à la charnière entre beaux-arts et artisanat, œuvre d’art et produit, décoration et objet, attisant délibérément la tension entre savoir faire, valeur artistique du matériau choisi et objet figuré. De la conception, à la perception puis l’interprétation, aucune surface n’est trop lisse pour empêcher l’imagination d’y construire ses propres représentations.

Claire Migraine