Anna Fanny Quinquaud, une ethnographe en terre chrétienne

Par Stéphane Allavena
Anna-Fanny Quinquaud, Sainte Geneviève, 1945

Anna-Fanny Quinquaud, Sainte Geneviève, 1945. Ronde-bosse en bois polychrome. 215 x 42 x 32 cm. Signé en bas à droite sur la terrasse : A. Quinquaud.

Sainte Geneviève, sculpture de Anna-Fanny Quinquaud

Anna-Fanny Quinquaud, Sainte Geneviève, 1945 (Achat par commande à l'artiste en 1944, Inv. : FNAC 6686)

Sainte Geneviève, sculpture de Anna-Fanny Quinquaud

Anna-Fanny Quinquaud, Sainte Geneviève, 1945 (Achat par commande à l'artiste en 1944, Inv. : FNAC 6686)

Anna-Fanny Quinquaud, Sainte Geneviève, 1945

Anna-Fanny Quinquaud, Sainte Geneviève, 1945. Vue du socle côté face.

Nénégallay, fille de Tierno-Moktar, sculpture de Anna-Fanny Quinquaud

Anna-Fanny Quinquaud, Nénégallay, fille de Tierno-Moktar, 1931 (Achat par commande à l'artiste en 1944, Inv. : FNAC 6686)

 

Jeune fille hova, sculpture de Anna-Fanny Quinquaud

Anna-Fanny Quinquaud, Jeune fille hova, vers 1934 (Achat à l'artiste en 1934, Inv. : FNAC 3836)

 

Jeune fille hova, sculpture de Anna-Fanny Quinquaud

Anna-Fanny Quinquaud, Jeune fille hova, vers 1934 (Achat à l'artiste en 1934, Inv. : FNAC 3836)

Chef Foulah, sculpture de Anna-Fanny Quinquaud

Anna-Fanny Quinquaud, Chef Foulah, s.d. (Achat à l'artiste en 1936, Inv. : FNAC 3917)

Portrait d’une jeune négresse dite Kadé, fillette de Tougué, sculpture de Anna-Fanny Quinquaud

Anna-Fanny Quinquaud, Portrait d’une jeune négresse dite Kadé, fillette de Tougué, 1931 (Achat à l’artiste en 1937, Inv : FNAC 4084)

Les administrations centrales de l’État accueillent, à l’instar des mairies et des préfectures, de nombreuses œuvres déposées par la Direction des Beaux-Arts depuis le XIXe siècle. Un récolement, effectué en 2013 dans les locaux de la Direction de la Gendarmerie nationale à Issy-les-Moulineaux, a permis de retrouver une gracieuse sculpture en bois, réalisée en 1945 par une artiste singulière dont l’œuvre fait depuis peu l’objet d’une importante redécouverte.

Un itinéraire hors du commun

Née en 1890 et décédée en 1984, Anna Fanny Quinquaud est l’une des principales représentantes de la sculpture dite ethnographique aux côtés d’artistes tels Alfred-Auguste Janniot (1889-1969), décorateur du Palais de la Porte dorée en 1931, Pierre Meauzé (1913-1978), Emile-Adolphe Monier (1883-1970) ou encore Jane Tercafs (1898-1944).
Sensibilisée au modelage dès son plus jeune âge par sa mère Thérèse Caillaud, élève de Rodin, la jeune femme débute sa formation dans l’atelier de Blanche Laurent avant d’entrer à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts en 1918 où elle suit les cours de Laurent Marqueste (1848-1920) et Victor Ségoffin (1867-1925). Titulaire en 1924 du second prix de Rome, elle décide de rejoindre l’année suivante l’Afrique Occidentale Française délaissant ainsi le traditionnel séjour à la villa Médicis au profit de l’exploration des beautés du monde subsaharien.
Ses différentes pérégrinations la conduisent alors, entre 1925 et 1934, au Soudan français, en Guinée, puis sur la côte des Somalis et à Madagascar, où elle exécute, lors de chacun de ses séjours, de nombreux portraits des populations locales. Traduits en bronze lors de ses retours en France et exposés à la galerie Charpentier, ces derniers connaissent un large succès lors de l’Exposition coloniale de 1931 ainsi qu’à l’Exposition internationale des Arts et Techniques de 1937.
Cette audience lui permet d’obtenir plusieurs grandes commandes publiques en France métropolitaine ainsi que dans les colonies : Anges monumentaux de la cathédrale du Souvenir africain de Dakar en 1936, ronde-bosse pour la fontaine du Palais de Tokyo en 1937, bas-reliefs pour la façade de la maison de la France d’outre-mer à la Cité internationale Universitaire de Paris en 1952, statue de la Vierge pour l’église du Sacré-Cœur de Casablanca en 1954. L’extrême fin de sa carrière est marquée par une participation active à plusieurs chantiers de  reconstruction en Normandie (Monument aux morts du calvaire Saint-Pierre à Caen en 1961, bas-reliefs en plâtre pour le groupe scolaire Jean Moulin de Venoix en 1978).

Une œuvre au contenu symbolique

La statue de Sainte Geneviève a été commandée par l’administration des Beaux-Arts le 26 mai 1944. Sa réalisation, qui succède à l’exécution d’un premier modèle en plâtre acheté par le ministère, s’insère dans un contexte troublé marqué par l’imminence de la libération de Paris. Achevée en avril 1945, l’œuvre connaît après la guerre un itinéraire mouvementé : déposée en 1948 à l’Etat-Major de la Défense nationale, elle est ensuite transférée en 1997 à la Direction générale de la Gendarmerie nationale, institution dont sainte Geneviève est la patronne depuis le 18 mai 1962, avant de rejoindre en 2012 le nouveau siège d’Issy-les-Moulineaux.
La protectrice de la ville de Paris, célèbre pour avoir exhorté les habitants de la cité à résister aux menaces des Huns, est représentée sous les traits de la nièce de l’artiste. Revêtue d’une longue tunique, elle serre dans ses mains le symbole de la capitale tandis qu’à ses pieds figurent son attribut traditionnel, un mouton inséré dans un décor naturaliste ainsi que deux représentations pittoresques de la cathédrale Notre-Dame et de l’église du Sacré-Cœur.
La sculpture, dont la silhouette longiligne évoque les statues-colonnes des grands porches gothiques, s’impose par sa frontalité et son style épuré. Son exécution annonce une autre période dans la carrière de l’artiste, au cours de laquelle la jeune femme se détourne des modèles extra-européens et puise à de nouvelles sources d’inspiration. La représentation du visage de la sainte sous les traits d’un personnage familier ainsi que les références à l’art médiéval la rapprochent en particulier des œuvres produites par les Ateliers d’art sacré avec lesquels Anna Fanny Quinquaud entretint des liens étroits dès les années 30 par l’intermédiaire d’une de ses amies, mariée avec le président de l’association des catholiques des beaux-arts.

Anna Fanny Quinquaud dans les collections du Cnap

Le Cnap est propriétaire d’une quinzaine d’œuvres d’Anna Fanny Quinquaud réalisées entre 1913 et 1961. La plupart sont désormais déposées dans des institutions muséales. Le musée des années 30 à Boulogne-Billancourt réunit l’ensemble le plus remarquable avec trois bustes élaborés entre 1931 et 1936 : Nénégalley, fille de Tierno-Moktar chef de pita en Guinée, exécuté lors de son second voyage chez les peuples des montagnes du Fouta Djallon, le Chef foulah et la jeune fille Hova, réalisés lors de sa troisième expédition à Madagascar. Le Portrait d’une jeune négresse, dite Kadé, fillette de Tougué, sculpté en 1931 et déposé depuis 1985 au musée Sainte-Croix de Poitiers, atteste de la maîtrise de l’artiste dans le travail du bois ainsi que de sa sincère et profonde admiration pour les beautés de l’art africain.  L’œuvre d’Anna Fanny Quinquaud a fait l’objet d’une rétrospective itinérante présentée entre 2012 et 2014 dans six établissements : les musée d’art et d’archéologie de Guéret, Baron Martin de Gray et Despiau-Wlerick de Mont-de-Marsan, La Piscine de Roubaix ainsi que le musée des beaux-arts de La Rochelle. La manifestation entame, entre le 5 février et le 17 mai 2014, sa sixième et dernière étape au musée des beaux-arts de Brest.

 

Stéphane Allavena
Conservateur du patrimoine
Mission de récolement
Centre national des arts plastiques
 

Bibliographie & Sources

DORIDOU-HEIM, Anne. Anna Quinquaud  sculptrice exploratrice : voyage dans les années 30. Paris : Somogy, Impr. 2011.

Exposition Guéret, Musée d’art et d’archéologie. « Anna Quinquaud, Itinéraires africains dans les années 30 » : exposition du 14 juin au 16 septembre 2012, Musée d’art et d’archéologie de Guéret.

Le FUR, Yves (sous la Direction d’). D’un regard l’autre. Une histoire des regards européens sur l’Afrique, l’Amérique et l’Océanie. Paris, coédition musée du Quai Branly-Réunion des musées nationaux, 2006.

Archives nationales. F/ 21/6900. Commande d’une statue de sainte Geneviève.
Archives nationales. F/ 21/4260. Achat d’un bronze « Nénégallay, fille de Tierno Moktar ». 6 mai 1931.
Archives nationales. F/ 21/6803. Acquisitions de plusieurs bustes (1934-1940).
Archives nationales. F/ 21/6894. Commande d’une statue en pierre (grandeur nature) de la Vierge, destinée à l’église du Sacré-Cœur de Casablanca, 1953-1954.
Archives nationales. AJ/52/351. Dossier d’élèves.

Dernière mise à jour le 2 mars 2021