ALMOST ANIMATED

Bernd & Hilla Becher, Jean Dupuy, Michel Journiac, Peter Moore, Hermann Nitsch, Ria Pacquée, Gina Pane et Alina Szapocznikow
Exposition
Photographie
Galerie Loevenbruck Paris 06

Jean Dupuy
Clothesexchange, 1976/2016
3 photographies couleur d'après diapositives. Performance en rue avec Olga Adorno, Duane Street Square, New York, ca Oct./Nov.
Edition de 5 exemplaires
30 x 45 cm et 45 x 30 cm
© ADAGP, Paris. Courtesy galerie Loevenbruck, Paris. Photo Elaine Hartnett

 « On dit souvent que ce sont les peintres qui ont inventé la Photographie […]. Je dis : non, ce sont les chimistes. […] La photo est littéralement une émanation du référent. […] la photo de l’être disparu vient me toucher comme les rayons différés d’une étoile. »

Roland Barthes, La Chambre claire, 1979.

 

« Almost Animated » est une réflexion sur l’évolution et le rôle de la photographie dans les années 1970 et 1980.

 

Après les avant-gardes, la photographie elle-même a été remise en cause. Sa relation au réel – sa prétendue objectivité – a été décortiquée par des artistes qui en pressentaient la nature profondément ambivalente. Au mitan de cette époque, la parution de La Chambre claire, de Roland Barthes, résonna comme un coup de tonnerre, « Car l’immobilité de la photo est comme le résultat d’une confusion perverse entre deux concepts : le Réel et le Vivant : en attestant que l’objet a été réel, elle induit subrepticement à croire qu’il est vivant, à cause de ce leurre qui nous fait attribuer au Réel une valeur absolument supérieure, comme éternelle ; mais en déportant ce réel vers le passé (« ça a été »), elle suggère qu’il est déjà mort. Aussi vaut-il mieux dire que le trait inimitable de la Photographie (son noème), c’est que quelqu’un a vu le référent (même s’il s’agit d’objets) en chair et en os, ou encore en personne ».

 

L’exposition est introduite par une oeuvre iconique de Bernd et Hilla Becher, Vergleich: Fördertum - Transformator (1970). Au cours de ces années, en effet, les photographes allemands délaissèrent leurs inventaires systématiques de l’architecture industrielle pour élaborer des vues d’un même élément, photographié selon différents angles. Le résultat, quasi cinétique, rendait compte d’une tentative paradoxale – nourrie par leurs recherches sur le cinéma expérimental – d’« animer » visuellement l’inanimé, anticipant l’intuition barthésienne : « Dans la Photographie, la présence de la chose (à un certain moment passé) n’est jamais métaphorique ; et pour ce qui est des êtres animés, sa vie non plus, sauf à photographier des cadavres ; et encore : si la photographie devient alors horrible, c’est parce qu’elle certifie, si l’on peut dire, que le cadavre est vivant, en tant que cadavre : c’est l’image vivante d’une chose morte. »

 

Jouer avec des choses mortes, c’est précisément ainsi que Mike Kelley a titré son texte culte, analysant psychanalytiquement son rapport avec les fétiches de l’enfance, d’où procéda un certain renouveau de la performance au cours des années 1970.

 

Ce thème fondateur irrigue l’ensemble de l’exposition, qui confronte et superpose des pratiques issues de cette période où la performance n’était plus tant vécue comme héroïque ni transgressive que comme la mise en scène rituelle d’une dissection impitoyable du Moi. Le confirment ici des séquences signées Michel Journiac, Hermann Nitsch ou Gina Pane, tous représentants de l’art corporel, et spécialement de son versant auto-analytique. À leurs côtés, les témoignages performatifs de Peter Moore figeant les mouvements de Nam June Paik, d’Alina Szapocznikow, qui, avec la complicité de Roman Cieslewicz, rumine des sculptures qui n’ont aujourd’hui comme seule existence ces images irréelles de chewing-gum mou étalées sur le papier noir et blanc, ou encore d’Olga Adorno et Jean Dupuy ne conservant que la saveur et l’essentiel d’un geste léger et gratuit font évoluer l’art-action du côté d’une « sculpture de soi », délicate et sensible. Ria Pacquée, elle, s’est inventé deux alter ego. L’un masculin, l’autre dénommée « Madame », qui condense les angoisses étreignant l’adolescent, sans carapace au moment de sa mue – le fameux « complexe du homard » –, et use d’une narration fantasmée en forme de catharsis.

 

Explorant sous ces auspices la relation entre la photographie et la sculpture – les Becher ayant d’ailleurs reçu le grand prix de sculpture de la Biennale de Venise en 1990 –, entre l’animé et l’inanimé, entre l’objet et le Moi, entre le geste et la pensée, « Almost Animated » réunit huit artistes dont l’oeuvre ne cesse actuellement d’être relu à l’aune de leur postérité, ces problématiques ayant pris une ampleur considérable dans l’art d’aujourd’hui.

 

Remerciements aux artistes et aux ayants droit, ainsi qu’à Stéphane Corréard, Christophe Gaillard, la Galleria Elefante, Anne Marchand et Piotr Stanislawski. 

Horaires

Mardi - Samedi, 11h - 19h

Adresse

Galerie Loevenbruck 6 rue Jacques Callot 75006 Paris 06 France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022