Focus… sur l’exposition Richard McGuire avec Vincent Tuset-Anrès, directeur de Fotokino

Double page extraite du roman graphique Here publié aux États-Unis par Pantheon Books en 2014 et en France par Gallimard (Ici) en 2015.

Vincent Tuset-Anrès dirige Fotokino, lieu de diffusion, d’expérimentation et de transmission des arts visuels, situé à Marseille. L’équipe dynamique de la structure produit de nombreux événements : Laterna Magica, des ateliers, conférences, publications, etc. Ils reçoivent en ce moment le créateur américain Richard McGuire, auteur d’illustrations, de livres, de bandes dessinées, de films d’animations pour une exposition qui s’accompagne de rencontres et de publications.

Vous avez organisé plusieurs événements autour des nombreux aspects du travail de Richard McGuire. Comment s’est faite cette rencontre ?

Elle s’est faite à distance, dans un premier temps, et par ricochets : Richard est un artiste qui possède une culture dans le champ de l’histoire de l’art et du design très impressionnante, qu’il a développé depuis son enfance. Cette curiosité s’accompagne d’une admiration sans borne pour certains artistes, parmi lesquels Paul Cox, Nathalie du Pasquier, Philippe Weisbecker... avec lesquels nous avons eu la chance de travailler ces dernières années, et qu’il apprécie pour la liberté avec laquelle ils naviguent dans les interstices de l’art et du design.

Dessin original pour P+O, éditions Cornelius, 2001.

C’est donc Richard, dans un premier temps, qui nous a contacté, il y a quelques années, pour nous féliciter et aussi pour nous acheter des livres ! Je connaissais son travail évidemment, que ce soient les ouvrages jeunesse, son groupe Liquid Liquid, ses illustration pour le New Yorker ou encore le livre P+O paru chez Cornélius. Je pense que nous avons plusieurs fois programmé son film Micro-loup dès les débuts de Fotokino, il y a près de vingt ans ! J’ai pu aller le voir dans son atelier à Manhattan en 2019, et il n’a pas fallu longtemps pour que l’on décide de faire une exposition ensemble.

Couverture pour le New Yorker, Juillet 2020.
Première couverture de Richard McGuire pour le New Yorker, Décembre 1993.
Couverture pour le New Yorker, Novembre 2019.
Couverture pour le New Yorker, Novembre 2020.

En quoi est-ce que la richesse de ses approches créatives et la diversité des objets qu’il conçoit vous intéressent ?

Évidemment cette diversité est passionnante. Pas en tant que telle, mais parce qu’elle est le fruit d’un ensemble de choix. Chez lui, l’idée et le concept priment. Et la forme suit. Si telle idée doit se matérialiser sous la forme d’une sculpture, elle en sera une. Si au contraire, elle doit se déployer sous la forme d’un livre, alors ce sera un livre. C’est ce dont rend compte l’exposition « Sound & Vision » au Studio Fotokino, qui est envisagée comme une rétrospective dans un espace réduit, et qui donne à voir de très nombreux projets, par fragments, réalisés depuis le début des années 1980.
McGuire aime reprendre à son compte le début du manifeste de Claes Oldenburg : « Je suis pour un art qui fait autre chose que poser son cul dans un musée. » McGuire, c’est une pensée en mouvement, c’est un art sans cesse éprouvé. Il pose les bonnes questions pour chaque projet et refuse la facilité de la répétition. L’écouter en parler est riche de leçons de ce point de vue-là, l’hétérogénéité des productions devient évidente, c’est une réponse à la complexité dont nous sommes tous faits, à la pluralité des objets qui nous passionnent.
En ce sens, on comprend la multiplicité des références présentes dans les affiches qu’il a conçues pour son groupe Liquid Liquid, de 1978 à 1983. Chaque poster ou pochette de disque était pour lui l’occasion d’expérimenter un nouveau style, comme un espace de recherche, tout en rendant hommage à certains de ses prédécesseurs : Rodchenko, Yokoo, Steinberg, Heartfield, Flora...

Affiche pour un concert de Konk vs. Liquid Liquid, sérigraphie, 1981.
Liquid Liquid avec de gauche à droite et de haut en bas : Sal Principato, Richard McGuire, Dennis Young et Scott Hartley.
Affiche pour un concert de Liquid Liquid, sérigraphie, 1981.

Pour autant, si les productions sont en apparence diverses, elles mettent en jeu des sujets et des thèmes qui traversent constamment son travail : le lien entre image et son par exemple. Des premières affiches dessinées au pochoir et collées dans les rues de New York en 1980, qui étaient conçues comme des images sonores, au livre que nous avons publié avec lui il y a quelques semaines, Listen, qui est une sorte de partition graphique de musique concrète, McGuire explore constamment cette relation.
Mais on pourrait aussi parler des questions de temps et d’espace, sous-jacentes à de nombreux projets, au roman graphique Here (Ici) en particulier.
C’est donc une œuvre plurielle, qui ne s’interdit aucune expérience dans les divers champs de l’art et du design, mais tout à fait cohérente. Sous l’apparente simplicité et légèreté des formes, se niche une réflexion sensible où rien n’est gratuit. Toute proportion gardée, j’y vois un parallèle avec la démarche de Fotokino.

Double page extraite du roman graphique Here publié aux États-Unis par Pantheon Books en 2014 et en France par Gallimard (Ici) en 2015.

L’exposition et les événements que vous organisez sont également complétés par des publications, support plébicité par McGuire, quelles sont-elles ?

Les ouvrages que nous éditons sont modestes, mais sont souvent envisagés comme des projets d’artiste sous la forme du livre, des livres d’artiste donc, dégagés de la préciosité que l’on associe parfois à ce type de publication.
Durant ses études à l’université, McGuire a suivi les cours d’un professeur qui l’a éveillé à la question du multiple. Et c’est ainsi qu’il envisage toute chose : affiche, le disque et sa pochette, film, roman graphique, morceau de musique ou livre jeunesse, c’est à dire comme des œuvres d’art reproduites un certain nombre de fois et diffusées le plus largement possible. Donc, oui, là aussi nous étions faits pour nous entendre ! Pour l’exposition «Sound & Vision», il n’a pas créé de nouvelle œuvre ou série, mais s’est attelé à la conception d’un livre, Listen, qui est une nouvelle tentative de fondre le son et l’image en un même objet – obsession qui l’anime. Mais nous avons aussi eu le privilège de réimprimer (sur notre duplicopieur Riso) les planches originelles de son projet Here, qui étaient parues dans la revue RAW dirigée par Art Spiegleman et Françoise Mouly. Planches qui, vingt-cinq ans plus tard, on donné naissance au roman graphique du même nom, qui a remporté un succès planétaire (et le fauve d’or d’Angoulème). En parallèle, nous avons également imprimé une série de dessins datant de 2018, intitulée My Things, dans laquelle McGuire étudie en détail les gestes et objets du quotidien et le ballet millimétré qui rythme et structure nos vies.

Série Ixnae Nix, Though My Open Mouth, dans les rues de New York, 1979.

Enfin, lors du festival Laterna magica, en décembre 2021, nous avons organisé une rencontre avec Richard hors de nos terres marseillaises, à la Villa Belleville à Paris, et cette collaboration a été l’occasion d’éditer une sérigraphie avec eux.
Nous avons porté, avec cette exposition, un regard plus global sur son œuvre, sans crainte de l’hétérogénéité. C’est la première fois que son travail est montré de la sorte, c’en était même perturbant pour lui ! Et le constat, pour revenir à la question précédente, c’est que son œuvre est d’une richesse telle, qu’elle mériterait amplement un catalogue monographique. S’il n’existe pas encore, c’est sans doute précisément à cause de cette hétérogénéité. Mais comme elle nous excite plus qu’elle nous dérange, je crois que cela sera notre prochain projet d’édition avec lui...

Entretien réalisé par Véronique Marrier, cheffe du service design graphique au Centre national des arts plastiques.

Commissaire d'exposition

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Dernière mise à jour le 10 février 2022