MECANIQUE POPULAIRE 2011 sur une proposition de Renaud Jerez RENAUD JEREZ / DAVID DOUARD
Répondant à une invitation de la galerie Chez Valentin, le jeune artiste français Renaud Jerez
propose une exposition de ses récentes oeuvres qu'il a choisi de confronter avec les pièces d'un autre
jeune artiste, David Douard. "Mécanique Populaire" est l'occasion d'une troisième collaboration entre
ces deux artistes. Tout en évoluant parallèlement et individuellement, leurs univers respectifs
demeurent intimement liés. Partageant un socle imaginaire commun qu’ils doivent en partie à
une longue amitié, ces deux pratiques se nourrissent de mêmes référents culturels et historiques. C’est
donc naturellement, par affinités formelles et conceptuelles, que les deux regards se croisent,
s’alimentant l’un l’autre, construisant un langage qui met à jour des origines communes.
Prenant racines à partir d'une géographie mentale collective, les oeuvres proposées par
Renaud Jerez et David Douard construisent et agencent des objets du doute, cultivent les écarts et
multiplient les références, attirant le regard dans de sinueuses trajectoires du sens. Puisant sa source
dans les latences du réel, leur pratique relève d’une forme de maillage mental et intuitif qui s’incarne à
l’intérieur de dispositifs hybrides, rejouant ainsi les codes du display, de la peinture, de la sculpture ou
encore du collage et de la vidéo. Elaborées à partir d’une profusion de matériaux, objets ou fragments
d’objets manufacturés, textes, images, affiches publicitaires, matières premières et organiques, ces
oeuvres glissent du registre de la low culture la plus triviale à celui de l’histoire de l’art et des idées,
construisant un langage multiforme qui percute le réel à travers ses différents niveaux de
représentations. N’entretenant nul complexe vis-à-vis des références et des codes qu’ils manipulent
avec une forme d’irrévérence qui souvent tient de l’humour ou de l’ironie, leur geste artistique, libre et
radical, s’apparente à une forme d’appropriation, d’extraction ou de prise de possession du réel
comme matériau brut, comme réservoir de formes pures. Refusant le confort d’un point de fixation
du sens, l’oeuvre fuit la lourdeur des fondements théoriques, lui opposant une « mécanique » intuitive
qui cultive le doute et l’équivoque. Cette simplicité affichée du geste qui puise spontanément dans les
organes de la réalité la plus ordinaire revendique sa filiation avec Fluxus. Ainsi, chez Renaud Jerez et
David Douard l’oeuvre tient le plus souvent du montage, de l’agencement d’une partition abstraite qui
redouterait l’accord parfait, lui préférant le relief de ses dissonances. Procédant par accumulation,
assemblage, ou au contraire par extraction ou simplification, l’oeuvre se donne à voir comme une
pure construction dont la matrice, le principe organisateur, demeurerait partiellement voilée, secrète,
voir totalement occulte. Favorisant les silences, jouant d’ellipses ou de détours, l’image n’est jamais
directe, entretenant l’errance et la déroute du spectateur. Ainsi, si ce dernier peine à déchiffrer la
trajectoire mentale de l’artiste, à percer le « sens caché » de ces oeuvres, c’est que ce montage est à
géométrie variable, cette grille de signes pouvant être activée librement. Malléable, l’oeuvre dans son
déploiement reflète cet intérêt que les deux artistes entretiennent pour « les états liquides » de la
pensée, les flux et les passages du sens qui mettent en contact et rapprochent des réalités a priori
incompatibles. C’est alors la résistance de cette soudure, ce qui se fait lien « entre » les éléments qui
ordonnent notre monde visible, que les deux artistes s’attachent ici à questionner. Afin de bouleverser
l’apparence inflexible du réel, et pour rendre lisible cet agencement poétique, l’oeuvre suppose alors de
la part du spectateur une grande souplesse du regard.
Clara Guislain